La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le médecin de son honneur

Le médecin de son honneur - Critique sortie Théâtre
Légende photo Des hommes raidis par un système de pensée qui s’apparente à un juge implacable

Publié le 10 novembre 2007

Tragédie du dernier poète dramatique du Siècle d’or espagnol, Pedro Calderon de la Barca (1600-1681), dans une mise en scène qui se concentre sur l’essentiel : le pouvoir des mots emportés par l’intégrisme de l’honneur.

« Mais qu’est-ce qu’ils ont ces Espagnols avec leur honneur ?! » s’irrita un critique devant l’œuvre mise en scène et jouée par Charles Dullin en 1935. Tout au long de la pièce c’est bien l’honneur qui se brandit comme un étendard, se distille comme une fatalité, motivant puissamment l’action et la psyché des personnages, donnant à l’intrigue un caractère tragique inaltérable et reléguant l’amour à un simple sentiment que l’on accepte ou refoule. Au nom de l’honneur, cette valeur absolue, glacée et immuable, un mari heureux et aimant se transforme en un forcené jaloux et cruel, souffrant terriblement. On pense inévitablement à Shakespeare ! La mise en scène d’Hervé Petit, toute en sobriété et retenue, dans une atmosphère de clair-obscur qui évoque certains tableaux de Velasquez ou du Greco, d’une beauté sans artifice, ne manque pas de laisser voir les insondables tourments qui agitent les personnages, les folles violences qui transforment les âmes. Les hommes, aux corps cintrés dans des imperméables noirs, raidis par un système de pensée qui s’apparente à un juge implacable, tentent avec peine de donner sens au mot justice, et souvent se fourvoient lamentablement. 

Bel « ordonnancement d’un chaos » 
Les mots, fiévreux, impératifs, vont plus vite que la pensée, disent l’immense désarroi qui s’empare des personnages, et toujours se parent d’une certaine solennité émaillée de métaphores. Qui sont les personnages ? Le frère du Roi, don Enrique, fait une chute de cheval, il se retrouve dans la demeure de dona Mencia, amour de jeunesse à qui de nouveau il proclame sa flamme, et qui le repousse. La belle dame n’est plus libre, elle a épousé Don Gutierre, qui bientôt soupçonne quelque chose, et se déclare « médecin de son honneur », devant déterminer l’étendue du mal et le traitement à adopter. Il prescrira les remèdes les plus terribles… Par ailleurs Dona Leonor accuse Gutierre d’avoir causé la perte de son honneur, car il l’a courtisée sans l’épouser. Au Roi de décider des fautes et des sanctions, ici le pouvoir inspire déférence et respect. Quant à Coquin, le Bouffon, à fleur d’émotion, il joue l’équilibriste entre intelligence et maladresse, d’un comique souvent au bord du drame. Dessinant souvent de beaux tableaux, l’interprétation des comédiens de la compagnie La Traverse trouve le ton juste, malgré les paradoxes qui caractérisent les personnages, à la fois cruels et pathétiques, déterminés et perdus. Bel « ordonnancement d’un chaos », pour reprendre les mots d’Hervé Petit. Du bon théâtre.
Agnès Santi


Le médecin de son honneur, de Pedro Calderon de la Barca, mise en scène et traduction Hervé Petit, du 17 octobre au 17 novembre, du mercredi au samedi à 20h30, dimanche à 17h, au théâtre de l’Opprimé, 78 rue du Charolais, 75012 Paris. Tél : 01 43 40 44 44.
Le 19 novembre à 20h30 au Théâtre Firmin Gémier, 92160 Anthony. Tél : 01 46 66 02 74.

Le 22 novembre à 14h30 et 20h45 au Centre d’art et de culture de Meudon. Tél : 01 49 66 68 90.

Texte publié aux éditions de l’Amandier.

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