Je suis un metteur en scène japonais
Fanny de Chaillé mêle ses fantasmes sur le [...]
Fida Mohissen adapte Un jour de notre temps et Le Viol, du dramaturge syrien Saadallah Wannous, en un spectacle soigneusement architecturé, dont la forme offre un cadre judicieux au fond.
Face syrienne et face israélienne d’une horreur bifrons où les mêmes monstres torturent les mêmes naïves victimes d’un ordre paranoïaque, le spectacle de Fida Mohissen raconte la déréliction et le désespoir de deux sociétés également perverties. Alternent l’histoire de Farouk, brillant professeur de mathématiques damascène qui se débat dans le marigot luxurieux d’une ville aux mains des putains et des lâches, et celle d’Isaac, membre des services de la sécurité intérieure israélienne, castré par une mère délirante et un métier meurtrier. De part et d’autre des frontières de la haine, même structure d’oppression, même gabegie, même terreur et même résignation : la tragédie syrienne, comme la tragédie israélienne, n’ont d’autre issue que la mort. Afin d’étayer l’idée selon laquelle le conflit, supposé indépassable, entre ces cultures qui s’affrontent, n’est que le masque de rapports de pouvoir entre dominants et dominés dans chacun des deux camps, les comédiens traversent les deux histoires et y interprètent, en miroir, les loups et les agneaux de ces deux fables émétiques.
Distanciation salvatrice
« Pour éviter aux textes de Wannous un traitement naturaliste qui risque de les rendre anecdotiques, redondants ou exotiques », Fida Mohissen choisit de cultiver la distance entre les comédiens et les personnages. Le « dit » importe davantage que l’image et l’incarnation, car « la parole a la vertu de laisser le temps au propos. Elle permet d’instaurer une distance et de laisser la place à l’analyse, tout en ayant la capacité d’aller droit au cœur et d’éveiller des émotions ». La mise en scène prend donc l’heureux parti d’éviter de montrer la violence, les mots la décrivant avec assez de puissance. Le travail protéiforme des comédiens est soigné, et, dans l’économie interprétative qui leur est imposée, ils parviennent à camper leurs personnages avec une vérité terrifiante. Joué, dit ou lu, le texte devient l’élément central de la pièce, imposant une écoute que nulle affèterie scénique ne vient perturber. Participant à la salvatrice distanciation qui commande l’ensemble, la musique, interprétée au plateau par Michel Thouseau, contribue très efficacement à camper le décor de ces deux courses à la mort. Ce spectacle, sorte d’oratorio palpitant, constitue une parabole terrifiante sur la manière dont la peur peut assassiner la culture, la morale et l’amour.
Catherine Robert
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