La Terrasse

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Théâtre - Critique

Le jour où j’ai appris que j’étais juif

Le jour où j’ai appris que j’étais juif - Critique sortie Théâtre Paris Le Petit Montparnasse
Jean-François Derec dans Le jour où j'ai appris que j'étais juif. Crédit : Philippe Hanula

Le Petit Montparnasse / de et par Jean-François Derec / mes Georges Lavaudant

Publié le 23 octobre 2018 - N° 270

Découvrant stupéfait et consterné sa judéité à l’âge de 10 ans, Jean-François Derec interroge et met en scène la tumultueuse quête de soi qui s’est ensuivie. Une quête hilarante, réjouissante et émouvante, qui montre de manière éclatante l’absurdité de l’antisémitisme et de tout racisme.

« Je sais pourquoi tu ne veux pas me le montrer. Parce que tu es juif et que tu as le zizi coupé en deux ! » C’est ce que lance Christine au petit Jean-François, qui par son refus renonce à voir les seins de Christine. Cette infamante nouvelle le sidère et le terrifie : il se lance alors dans une quête éperdue pour en savoir plus. Une quête réjouissante, sensible et juste qu’il a racontée dans un récit autobiographique*, et qu’il adapte et interprète dans la mise en scène de son camarade grenoblois Georges Lavaudant, avec lequel il faisait du théâtre dans les années 1970. Son seul en scène est une merveille de finesse et de délicatesse, de drôlerie et de profondeur. Ce qu’il montre de manière subtile et émouvante, c’est cet écart révélateur entre l’angoisse effarée de l’enfant face à cette brutale incursion dans une “anormalité“ définie par les autres, et l’angoisse de la mère qui fait tout et même davantage encore pour être une vraie Grenobloise, dissimulant son identité juive à sa descendance. Pour être « komifo », plus française qu’une Française, mère juive à l’accent yiddish qui se réfugie dans un « devoir d’amnésie » afin de protéger ses enfants. En Pologne, être juif a coûté la vie à une grande partie de la famille, ce qui explique que ce soit son nom et non son zizi qui est coupé en deux : Dereczynski a été amputé de moitié.

Entre une chaise et une chaise fantôme

De nombreux enfants de familles ashkénazes ont connu de tels parcours, et ont réagi très diversement. Une diversité de réactions qui souligne l’idiotie du racisme qui toujours affuble l’autre de caractéristiques figées. On pense à Claude Sarraute qui déclara à son père que pour elle un juif était un monstre – conformément à ce qu’elle entendait à l’école – et au père meurtri rétorquant que lui comme elle étaient juifs. L’humour, la cocasserie, l’autodérision et l’intelligence du récit de Jean-François Derec montrent autant l’absurdité des poncifs racistes que la belle et complexe sincérité de sa quête d’identité. Logé entre deux chaises, dont l’une fantôme. Les antisémites, toujours experts dans la catégorisation des uns et des autres, toujours renseignés sur la judéité de tel ou tel nom, en prennent ici pour leur grade. Sans surplomb, sans esprit de sérieux, sans vindicte, sans moralisme, Jean-François Derec questionne, approfondit le débat avec ses frères humains plutôt que d’en simplifier les enjeux. Il se place à un endroit juste, à hauteur d’homme, à hauteur de fils… Une pièce très drôle, très touchante, à voir absolument !

Agnès Santi

*Editions Denoël, 2007

A propos de l'événement

Le jour où j’ai appris que j’étais juif
du jeudi 25 octobre 2018 au vendredi 19 janvier 2018
Le Petit Montparnasse
31 rue de la gaité, 75014 Paris.

Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 15h. Tél : 01 43 22 77 74. Durée : 1h15. Spectacle vu au Théâtre du Chêne Noir à Avignon en juillet 2018.

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