La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Banquet

Le Banquet - Critique sortie Théâtre
Crédit : Mirco Légende : Un Banquet étagé ou la philosophie mise en boîtes.

Publié le 10 avril 2010

A ceux qui croient que philosophie rime avec sérieux, abstraction, et déconnexion du réel, Jacques Vincey propose un Banquet où le désir menace sérieusement l’amour de la sagesse.

Dans le Banquet de Platon, les convives sont réunis pour fêter la victoire d’Agathon à un concours de tragédie, mais ils renoncent à s’enivrer, fatigués qu’ils sont des agapes. En outre, ils craindraient d’affecter ainsi leurs capacités intellectuelles et se méfient de l’extraordinaire capacité de Socrate de rester sobre en buvant. Car, pour se divertir, ils ont choisi de faire le concours du meilleur éloge de l’amour. Paradoxal : on laisse de côté la chair pour célébrer la parole et on privilégie l’esprit pour traiter du désir ! Chacun des commensaux s’y essaye. Phèdre, Eryximiaque et Aristophane avec sa célèbre théorie des androgynes coupés en deux par les Dieux, qui recherchent leur moitié perdue dans tout l’univers.

Gourou illuminé
Beaucoup sont ridicules : Aristophane, qui hoquette sans cesse, Agathon, dans son contre-emploi : beau jeune homme incarné par le gros quinquagénaire Serge Bagdassarian, il illustre la thématique du pouvoir trompeur des apparences. Celle-ci est au cœur de la philosophie de Platon, on le sait, mais encore plus dans la représentation qu’en propose Vincey. L’étagement de la scénographie en rectangles imbriqués les uns dans les autres évoque d’ailleurs la perspective de la caverne. En même temps, elle illustre l’enchâssement des discours qui préside au Banquet : le narrateur de Platon rapporte qu’Appolodore lui a rapporté que Phénix lui avait rapporté qu’Aristodème lui avait rapporté que Socrate avait rapporté ce que lui avait dit Diotime au sujet de l’amour ! La fragilisation du statut de la parole, le pouvoir manipulateur du verbe et la dissimulation par les mots sont des thèmes éternels du théâtre qui émergent d’eux-mêmes de l’œuvre de Platon. Celui-ci a pourtant largement critiqué l’art dramatique. Revanche ? Réconciliation ? Vincey rend un hommage respectueux à l’humour du philosophe et à la théâtralité de ce dialogue. Et Socrate aux pieds nus, finement interprété par Thierry Hancisse, présente alternativement une sagesse impassible, des airs de je-sais-tout, un brin doctes et méprisants, et une humilité de façade. Ces métamorphoses en font un véritable acteur, et à l’acmé de son récit, il se transforme en gourou illuminé, baigné d’une aveuglante lumière, dont on ne sait si c’est celle de la vérité ou un moyen de sa persuasion. Sage ou manipulateur ? C’est en réintégrant Socrate dans le théâtre du monde que Vincey exerce sa liberté. Au mitan du spectacle : Alcibiade aviné déboule avec sa chemise blanche débraillée, assumant son désir quand les autres convives, tout de noir vêtus, voulaient se montrer purs esprits. L’enjeu de la parole était de se désincarner pour accéder à la vérité. Revient avec Alcibiade l’ivresse de la parole, un désir qui n’est pas que celui des Idées, la vie, le théâtre. A ce moment-là, suggère Vincey, peut commencer le vrai Banquet.
Eric Demey


Le Banquet, d’après Platon. Mise en scène de Jacques Vincey. Spectacle vu au Théâtre de l’Ouest Parisien. Du 25 mars au 9 mai 2010 au Studio-théâtre de la Comédie Française à 18h30. Relâche les 3, 4 avril et 1er mai. Réservations au 0825 10 1680. Durée du spectacle : 1h30.

A propos de l'événement


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