La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Avare

L’Avare - Critique sortie Théâtre Clamart Théâtre Jean-Arp
Jean-Claude Frissung en Harpagon et sa cassette. Crédit photo : Pierre Grosbois

Théâtre Jean-Arp / de Molière / mes Jacques Osinski

Publié le 26 octobre 2015 - N° 237

Jacques Osinski propose une version glaçante de L’Avare, en jouant habilement des contrastes entre moquerie et pitié. Jean-Claude Frissung, en bourgeois manipulé par les siens, est émouvant, et le spectacle de sa misère prête à penser autant qu’à rire…

Saturne méchant, avide et cupide, castrateur de son fils et canaille cacochyme et libidinale, ou malheureux barbon victime d’une jeunesse qui choisit le jeu pour s’enrichir et singe les marquis en méprisant son laborieux bourgeois de père ? On peut choisir la première lecture de la pièce de Molière et rire méchamment des déboires d’Harpagon, trompé par ses domestiques et ses enfants. Mais on peut aussi – et c’est évidemment le génie de Molière de supporter tous les points de vue – voir en Harpagon le frère de George Dandin et de Monsieur Jourdain : celui dont la vertu est celle des « petites gens », comme le dit Norbert Elias dans La Société de cour, quand il compare l’éthos de la bourgeoisie et celui de la « consommation de prestige » de l’aristocratie. Elise – interprétée par Alice Le Strat – soupirant devant un réfrigérateur vide, qu’elle n’a évidemment pas contribué à remplir (car l’enfant de la bourgeoisie a la cigarette élégante et la langueur exténuée de celles qui se sont seulement donné la peine de naître), et Cléante (Arnaud Simon), contraint à l’emprunt car il ignore le labeur, ont ce dédain pour la richesse qui caractérise ceux qui ne l’ont pas gagnée et la mérite à peine…

Un théâtre économe et fin économiste

En choisissant d’installer ses comédiens dans le décor élégant d’un appartement pompidolien au luxe décemment discret, Jacques Osinski, sans tapage ni explicitation politique péniblement démonstrative, réussit une critique sociale fine et acerbe. Valère (Alexandre Steiger) a tout de l’étalon fringant formé dans les écuries des sciences politiques, et il manipule à loisir la fille et le père. Cette jeunesse qui réclame de jouir en snobant sa parentèle économe nourrie de haricots et de marrons, et arrache le diamant du doigt du père pour le donner à sa fiancée, a tout des abjects héritiers de l’effort bonasse qui va en pantoufles et se moque des oripeaux de la gloriole évaporée. Jean-Claude Frissung est ce bourgeois mal dans son époque et incapable de comprendre les aspirations de ses enfants. Emouvant et sincère, il réussit à faire d’Harpagon un pauvre bonhomme qui faute de n’être pas grand seigneur, n’est finalement pas si méchant homme. Pas étonnant alors que Maître Jacques – le représentant du peuple – lui pardonne sa pingrerie et soit le seul à ne pas lui mentir… Les comédiens réunis par Jacques Osinski sont tous très justes. Ils ne versent pas dans les excès de la farce, et les personnages cyniques et vipérins qui entourent Harpagon font frémir autant qu’ils font rire. Jacques Osinski suggère que l’actualité sidérante de la pièce de Molière tient au fait qu’elle dénonce non tant le règne de l’argent que les petits marquis contemporains, qui spéculent en se jouant de ceux qui le gagnent…

Catherine Robert

A propos de l'événement

L’Avare
du jeudi 5 novembre 2015 au samedi 14 novembre 2015
Théâtre Jean-Arp
22 Rue Paul Vaillant Couturier, 92140 Clamart, France

Jeudi à 19h30 ; mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20h30 ; dimanche à 16h. Tél. : 01 41 90 17 02. Tournée : 1er et 2 décembre au théâtre de Bourg-en-Bresse et du 26 au 29 janvier 2016 au Théâtre de Caen. Spectacle vu au théâtre Jean Vilar à Suresnes. Durée : 2h.

 

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