La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’Art de Suzanne Brut

L’Art de Suzanne Brut - Critique sortie Théâtre Paris Les Déchargeurs
Marie-Christine Danède, magnifique et poignante Suzanne Brut. Crédit : Stéphane Cottin

Les Déchargeurs / de Michael Stampe / mes Christophe Lidon

Publié le 23 novembre 2017 - N° 260

Michael Stampe invente Suzanne Brut, petite sœur de Séraphine de Senlis et des génies de l’art hors normes, qu’interprète magistralement Marie-Christine Danède, dans la miniature polychrome mise en scène par Christophe Lidon.

« Où viennent s’installer les estrades pompeuses de la Culture et pleuvoir les prix et lauriers sauvez-vous bien vite : l’art a peu de chance d’être de ce côté. (…) Le vrai art, il est toujours là où on ne l’attend pas. Là où personne ne pense à lui ni ne prononce son nom. L’art, il déteste être reconnu et salué par son nom. Il se sauve aussitôt. L’art est un personnage passionnément épris d’incognito. » disait Jean Dubuffet dans L’Homme du commun à l’ouvrage. Ainsi va Suzanne, inconnue et cachée dans un couvent du Périgord, rôdant dans la grange la nuit venue pour y voler de la peinture. Elle la mélange aux herbes et aux fleurs dans lesquelles elle aime à se coucher pour mieux entendre le vol des abeilles. Autour d’elles, il y a les autres folles qu’on a cloîtrées, les sœurs acariâtres et les Allemands qui ont réquisitionné le couvent. C’est la guerre. Les vivres manquent, mais Suzanne n’en a cure, tant qu’elle peut trouver des « bois » pour peindre le visage de la sainte Vierge et de son amie sainte Jeanne, qui vient régulièrement la visiter pour une petite causette. Elle peint des auréoles merveilleuses, des manteaux extraordinaires pour habiller la bonne Marie, qu’elle craint un peu mais qu’elle aime dévotement. On pense à Camille Claudel, grelottant dans l’asile de Montdevergues, à Séraphine de Senlis et au secret de ses pigments chatoyants, et à tous ces artistes, géniaux et fous, habités et enthousiastes, à ce point incompris des hommes qu’ils ne peuvent plus se vouer qu’aux saints pour survivre.

Simple et sublime

Le texte de Michael Stampe est à la fois drôle et poignant. Comme une mosaïque faite d’éclats de lumière et de petites touches narratives, il raconte la triste histoire de Suzanne et le drame qui l’a conduite à demeurer enfermée au couvent. La mise en scène de Christophe Lidon est économe et efficace. Suzanne est là, entre la chaise et le lit, sous lequel elle cache ses planches extraordinaires pour que le médecin ne les lui vole pas toutes. Le piédestal sur lequel se tient la comédienne sert de support à des projections colorées qui rappellent la technique du dripping et la douceur du vent faisant ondoyer la prairie. Marie-Christine Danède interprète Suzanne avec un talent éblouissant. La voix adopte un timbre rocailleux qui rappelle le phrasé chaud et pierreux du Périgord, les intonations sont mesurées avec une subtilité remarquable ; chaque geste dit à la fois la liberté intransigeante du personnage et la folie, la solitude et le dénuement qui l’affectent. Suzanne apparaît dans toute sa complexité psychologique, à la fois enfant demeurée et artiste transfigurée, sublime et poignante, humaine et sainte, pitoyable et admirable. Le magnifique travail de toute l’équipe qui réussit à créer cette miniature naïve et précieuse est à saluer et à chaudement recommander !

Catherine Robert

A propos de l'événement

L’Art de Suzanne Brut
du mardi 31 octobre 2017 au samedi 23 décembre 2017
Les Déchargeurs
3 Rue des Déchargeurs, 75001 Paris, France

Du mardi au samedi, à 19h30. Tél. : 01 42 36 00 50. Durée : 1h15.

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