La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2010 - Entretien Jérémie Le Louët

L’Acteur comme potentialité musicale

L’Acteur comme potentialité musicale - Critique sortie Avignon / 2010

Publié le 10 juillet 2008

Directeur artistique, acteur et metteur en scène de la talentueuse Compagnie des Dramaticules, Jérémie Le Louët présente Macbett de Ionesco, salué par le public et la critique, et Le Horla, création du festival qu’il interprète seul et met en scène, avec l’Acteur comme maître du jeu.

En quoi la pièce Macbett est-elle « Macbeth cauchemardé par Ionesco ». Que révèle la pièce sur la mécanique du pouvoir ?
Jérémie Le Louët : « C’est la fable racontée par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne veut rien dire. » Toute l’œuvre de Ionesco est pour moi résumée dans ces vers de Shakespeare. C’est à la lumière de ses propres obsessions que Ionesco « réécrit » Macbeth. Tout en restant fidèle à la trame originelle, il mêle la parole la plus triviale, le lyrisme le plus enflammé et l’exercice de virtuosité verbale le plus improbable. Poussant l’absurde à son paroxysme, Ionesco nous montre comment la soif de pouvoir corrompt le fonctionnement même du langage. Le plus violent, le plus dénué de toute éthique accède inexorablement au pouvoir.
 
 « Ma direction d’acteur a tout à voir avec la musique et très peu à voir avec l’usage de codes de jeu. »
 
Plus grotesque que tragique, la pièce peut s’apparenter à une parodie. Comment avez-vous évité cet écueil ?
J. L. L. : Je « travaille l’acteur » comme potentialité musicale, sonnante et dissonante, vibrante et détachée. Ma direction d’acteur a tout à voir avec la musique et très peu à voir avec l’usage de codes de jeu. De plus, Macbett n’est pas la caricature rassurante de Macbeth mais une opération critique sur le mythe. Ionesco est tantôt fidèle à Shakespeare, tantôt très insolent. Cette ambiguïté est la grande force de la pièce de Ionesco. J’ai pris appui sur cette ambiguïté, mettant ainsi à distance toute complaisance parodique.

Le conte fantastique Le Horla est créé cet été à Avignon, après avoir été présenté en lecture dans divers collèges et lycées. Pourquoi avez-vous décidé de porter à la scène cette œuvre ?
J. L. L. : Le Horla a des résonances contemporaines très fortes. Le narrateur nous rapporte son trouble et ses angoisses, engendrés par la présence d’un être invisible. Je vois en ce narrateur l’homme de notre société en proie à un trouble identitaire, en proie à la peur de l’autre, de lui- même et de son devenir. Il est en quête de sens, de réponses à des questions d’ordre métaphysique. De plus, Le Horla est un kaléidoscope indémodable de la langue française : perfection dans le rythme de la prose, structure mélodique complexe ; chaque phrase est ciselée. C’est le terrain idéal pour mes explorations langagières. Le Horla appelle de toutes ses forces l’étrange, le lyrisme et le grotesque, trois notions auxquelles je suis très attaché.

Qui est le Horla, être inconnu obsédant le narrateur. Est-ce Flaubert, gourou de Maupassant ?
Les résonances du Horla sont infinies. Le Horla, c’est le protagoniste qui ne se reconnaît plus. Le Horla, c’est l’autre, l’étranger, qu’il vienne de Mars, du Brésil ou d’ailleurs. Le Horla, c’est Flaubert, gourou littéraire qui a tout écrit et qui de sa tombe, continue de dominer Maupassant. Le Horla, c’est le metteur en scène que je suis, contrariant l’acteur que je suis, et je ne suis pas d’accord !

Vous-même êtes le seul interprète de la pièce. Comment abordez-vous cette prose du point de vue de la scène et du jeu de l’acteur ?
J’ai toujours joué dans les spectacles que j’ai mis en scène. Cette dualité, à laquelle je suis pourtant familier, est ici empreinte d’une résonance particulière : je me dirige et je m’exécute… seul. Le thème du double ! J’ai découpé le texte en mouvements, en séquences rythmiques à l’intérieur desquelles j’ai reconstruit un vers libre. J’ai souhaité donner à voir et à entendre une partition baroque et contrastée : du chuchotement à l’incantation, de l’affolement boulimique de la parole à l’aphasie du dire. Je n’ai pas cherché à reconstituer, dans un décor réaliste, un intérieur normand ; mais plutôt à rendre compte, par un dispositif scénique très simple, de la fièvre et des obsessions du protagoniste.

Propos recueillis par Agnès Santi


Avignon Off. Macbett d’Eugène Ionesco, mise en scène Jérémie Le Louët, du 8 au 31 juillet à 20h au Petit Louvre, 23 rue Saint-Agricol. Tél : 04 90 86 04 24. Le Horla d’après Maupassant, mise en scène Jérémie Le Louët, du 8 au 31 juillet à 22h15 au Théâtre Le Petit Chien, 76 rue Guillaume Puy. Tél : 04 90 85 89 49.

A propos de l'événement


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