La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Classique / Opéra - Entretien / Lucas Debargue

La révélation

La révélation - Critique sortie Classique / Opéra Paris Auditorium de la Fondation Louis Vuitton
© Jean-Luc Caradec / F 451 Productions

PIANO / FONDATION LOUIS VUITTON

Publié le 23 février 2016 - N° 241

Révélé lors de sa participation en juillet dernier au Concours Tchaikovski de Moscou, Lucas Debargue*, 25 ans, y remportait le 4ème prix, le prix spécial de la critique et suscitait le soutien enthousiaste du public moscovite. Invité de l’Auditorium de la Fondation Louis Vuitton, il propose un récital de morceaux choisis de  Mozart (Sonate en la mineur, K310), Chopin (Ballade n°4), Liszt (Mephisto Valse) et Ravel (Gaspard de la nuit). Un pianiste rare qui fait parler de la même voix engagement émotionnel et esprit de laboratoire, au service d’interprétations mûrement élaborées.

Quel pianiste êtes-vous en termes de répertoire ?

Lucas Debargue : Cela ne m’intéresse absolument pas de tout jouer. Et surtout pas le répertoire virtuose. Je n’ai rien à prouver, à qui que ce soit. Ce que je cherche à faire, c’est  sélectionner et construire très attentivement mes programmes. Elaborer des interprétations de Scarlatti, Mozart, Chopin, Beethoven, Prokofiev, mais aussi des compositeurs moins connus comme Szymanovsky ou Medtner que j’aime énormément. C’est la même chose pour les concertos.  Cela n’a aucun intérêt de prouver que je peux jouer le Troisième de Rachmaninov ou le Deuxième de Prokofiev. J’adore ces concertos mais je ne les jouerai que si j’en éprouve la nécessité, et non parce que c’est un passage obligé. Les œuvres que je joue correspondent à des points de rencontre, à une  nécessité, à un appel que je ressens face à certaines pièces. Pour Gaspard de la nuit, cela a été très naturel de rentrer dans cette musique, beaucoup plus que dans Beethoven ou Bach.

« Le rythme commence là où on se libère du métronome. Le vrai rythme : celui de l’âme, celui de l’intérieur. »

Comment voyez-vous le rôle de l’interprète ?

L. D. : Je distingue les pianistes et les publics qui recherchent l’exécution de ceux qui recherchent l’interprétation, qui est tout autre chose. Dans l’interprétation, il y a la dimension créative d’une appropriation. On joue un morceau pour tenter d’en révéler une facette qui n’avait pas été perçue. Un peu comme pour l’exégèse d’un texte. Dans cette démarche, il faut écouter toutes les interprétations d’une œuvre qui ont déjà été élaborées. C’est ce que je fais, et c’est un travail méticuleux de recherche. Ce n’est pas du tout la même chose que d’aligner les notes.

En vous découvrant, on découvre aussi votre intérêt profond pour le jazz…

L. D. : L’improvisation est pour un musicien la plus haute forme de connaissance. C’est pour cette raison que le jazz m’intéresse beaucoup, pour cette façon de créer à partir de contraintes préétablies. Cela m’aide énormément pour mes interprétations classiques. Tous les grands compositeurs étaient eux-mêmes de grands improvisateurs. Je ne me considère que comme un jazzman apprenti. On peut tricher avec l’interprétation de la musique classique, mais pas avec le jazz. Dans l’improvisation, ça passe ou ça casse.

Quels sont les pianistes que vous admirez ?

L. D. : Rachmaninov, Sofronitzy, Horowitz, Gillels. Et dans les pianistes d’aujourd’hui : Grigory Sokolov, Andras Schiff, Mikhaïl Pletnev, Evgueni Kissin. Beaucoup de russes donc, parce qu’avec eux il n’y a jamais cette impression de « métronome dans le derrière », comme c’est le cas avec beaucoup de pianistes européens, qui ont cette obsession de l’exactitude rythmique qui, en réalité, n’est pas du tout l’exactitude rythmique. Parce que le rythme commence là où on se libère du métronome. Le vrai rythme : celui de l’âme, celui de l’intérieur. Si on cherche à jouer dans l’exactitude du métronome, on n’est plus dans le rythme mais dans un cadre machinique qui délaisse la dimension organique. Le rythme, c’est aussi le rythme de la goutte d’eau qui tombe de la feuille, le rythme de l’eau qui tourne dans le moulin. C’est la rencontre de quelque chose d’organique et de mécanique…

 

Propos recueillis par Jean-Luc Caradec

 

* Lire notre entretien La Terrasse n°236

A propos de l'événement

La révélation
du jeudi 24 mars 2016 au jeudi 24 mars 2016
Auditorium de la Fondation Louis Vuitton
8 Avenue du Mahatma Gandhi, 75116 Paris, France

à 20h30. Tél. : 01 40 69 96 00.

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