La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Lune en plein jour de et avec Marina Tomé / mes Anouche Setbon

La Lune en plein jour de et avec Marina Tomé / mes Anouche Setbon - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Huchette
Marina Tomé interprète son propre texte © Ludo Leleu

de et avec Marina Tomé / mes Anouche Setbon

Publié le 22 janvier 2020 - N° 284

Dans un seul-en-scène qu’elle a écrit et interprète, Marina Tomé affronte ses blessures identitaires. Elle livre un spectacle incisif et drôle à la portée aussi universelle que stimulante.

Cela commence par un dialogue entre une mère et sa fille. La petite a six ans et réclame que lui soit racontée l’histoire maintes fois entendue des femmes de leur lignée. Une histoire qui remonte à la Pologne des pogroms, point de départ d’un exil en Argentine lui-même fui pendant la dictature militaire par les parents de Marina Tomé. L’enfant avait alors quatre ans et demi et bien qu’intégrée en France, elle s’aperçoit, une fois adulte, qu’après chaque voyage dans son pays natal, le retour dans son pays d’accueil est suivi d’une profonde dépression. Or, le moins que l’on puisse dire de la personnalité de Marina Tomé, est qu’elle est constituée par un besoin viscéral de comprendre. Comprendre pourquoi elle se sent arrachée à l’Argentine même 50 ans après, comprendre ce qu’elle apporte à sa lignée – étant entendu que chaque femme de la famille a apporté quelque chose devenu pour les autres un acquis (avoir un toit, pouvoir faire des études sans numerus clausus, vivre dans un pays libre) –, comprendre pourquoi, lorsqu’elle s’est fait renverser à 17 ans par un camion, elle s’est écriée « ce n’est pas ma faute », comprendre pourquoi cette expression revient si souvent dans la bouche de sa fille…

L’histoire se répète et se répare

De visites chez les psys en expériences quasi-mystiques, Marina Tomé cherche, se cherche, et finit, à coup d’explorations incessantes et de reconstitutions symboliques, par recoller les morceaux du puzzle. Si l’histoire se répète, elle se répare aussi, tel pourrait être le message de ce spectacle incisif, fin, drôle et profondément humain. Ce n’est pas un hasard si après son accident et l’expérience de mort imminente (NDE) qui a suivi, Marina Tomé a été surnommée par l’équipe médicale « la môme quand même », façon de rendre hommage à sa formidable capacité de résilience. Par son propre parcours, l’autrice et comédienne nous invite à nous relever, toujours. Et à communiquer. Car si la femme a été tellement meurtrie par son exil argentin, c’est que les adultes n’avaient pas suffisamment expliqué à l’enfant qu’elle était les raisons de ce départ forcé. Que ceux qui craindraient un spectacle trop autocentré ou uniquement thérapeutique soient rassurés : la générosité de l’artiste est telle qu’elle n’oublie jamais le spectateur à qui elle s’adresse directement, sans tomber dans le pathos. La mise en scène d’Anouche Setbon est délicate également : quelques malles et un miroir suffisent à suggérer l’exil et l’introspection, tout comme la musique qui s’invite à pas feutrés, suggérant la mélancolie de l’enfance plutôt que de marteler des tangos ou autres clichés argentins. Dans ce spectacle intime, marqué par la quête de sens et la capacité de résilience, Marina Tomé réussit à atteindre l’universel.

Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

La Lune en plein jour de et avec Marina Tomé / mes Anouche Setbon
du lundi 13 janvier 2020 au lundi 6 avril 2020
Théâtre de la Huchette
23 rue de la Huchette, 75005 Paris

tous les lundis à 20h. Tél. : 91 43 26 38 99. Durée : 1h20. Texte publié aux Éditions Dacres dans la collection Les quinquets.

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