La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Femme rompue

La Femme rompue - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre des Bouffes du Nord
Josiane Balasko interprète le monologue d’une femme rompue. Crédit photo : Pascal Victor

Théâtre des Bouffes du Nord / D’après Monologue, extrait de La Femme rompue de Simone de Beauvoir / mes Hélène Fillières

Publié le 22 novembre 2016 - N° 249

Dirigée par Hélène Fillières, Josiane Balasko offre une interprétation sans concession du monologue misanthropique et atrabilaire de Murielle, qui choisit la vindicte comme masque du désespoir.

« Je m’en branle de l’humanité, qu’est-ce qu’elle a fait pour moi, je me le demande. S’ils sont assez cons pour s’égorger, se bombarder, se napalmiser, s’exterminer, je n’userai pas mes yeux à pleurer. Un million d’enfants massacrés, et après ? Les enfants, ce n’est jamais que de la graine de salauds (…) Des gosses qui ne me sont rien, je ne vais pas m’attendrir sur eux. Ma fille à moi est morte et on m’a volé mon fils. » Voilà Murielle ! En ce soir de Saint-Sylvestre, pendant que ses voisins font la fête et que le bruit de la joie la renvoie à son âpre solitude, elle passe en revue ses douleurs et ses échecs, s’étonnant de n’être pas aimée, alors qu’elle déteste la terre entière. Le cancer de la culpabilité la ronge : elle n’a pas su empêcher la mort de sa fille. Elle s’en veut, mais en accuse les autres. Avec ce personnage odieux et lâche, Simone de Beauvoir fait le portrait d’une des figures favorites de l’existentialisme : l’être de mauvaise foi, qui s’invente des excuses en considérant qu’il n’est pas responsable de ses choix. Vieille bourrique détestable et haineuse, Murielle est un bloc de ressentiment, une fontaine à insultes fielleuses et à plaintes amères…

Malheur d’être le néant

Camper une telle virago relève de la gageure. Seule en scène au milieu des fantômes de la vie de Murielle, Josiane Balasko défend son personnage avec un courage et une vérité qui forcent le respect. Elle ne cherche pas d’excuses à Murielle, et l’interprète avec la morgue insolente des actrices qui ont passé le cap des minauderies. Sur la méridienne orange qui semble un radeau perdu dans la mer des avanies existentielles, la Murielle de Josiane Balasko est une naufragée solitaire infiniment pitoyable. Beauvoir, la philosophe, en dresse le portrait pour montrer que ce naufrage est volontaire, mais Balasko a la hardiesse de ne pas la sauver. Le pari est téméraire, car on voudrait bien, par empathie pour celle qui a perdu son enfant et souffre d’être abandonnée par les siens, essayer de trouver des excuses à Murielle. Mais le jeu de Josiane Balasko est aussi implacable que l’écriture de Simone de Beauvoir. Abandonnée sur son canapé, seule dans le pyjama informe qui se moque de cacher son corps vieillissant, perdue dans sa ratiocination vaine et son chagrin farouche, Murielle est tristement humaine. Josiane Balasko ose le montrer, et suggère, par effet de contraste, combien la vie est belle quand on n’en a pas perdu le goût !

Catherine Robert

A propos de l'événement

La Femme rompue
du mercredi 7 décembre 2016 au samedi 31 décembre 2016
Théâtre des Bouffes du Nord
37 Boulevard de la Chapelle, 75010 Paris, France

Du mardi au vendredi et le samedi 31 décembre à 19h. Tél. : 01 46 07 34 50. Durée : 1h15. Spectacle vu à L’Avant-Seine – Théâtre de Colombes.

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