La Terrasse

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Théâtre - Critique

La comédie des erreurs

La comédie des erreurs - Critique sortie Théâtre
Légende : Bière et fête champêtre abreuvent La comédie des erreurs Copyright : Mario del Curto

Publié le 10 février 2011 - N° 185

La comédie des erreurs est une pièce de jeunesse de Shakespeare – presque un exercice de style – et une ode baroque au théâtre. Elle est joyeusement célébrée par l’intelligente et audacieuse version qu’en proposent Dan Jemmett et sa troupe.

Inspirée d’une farce italienne, La comédie des erreurs met en place un schéma que Shakespeare ne se privera pas de réutiliser par la suite : des frères jumeaux sont séparés par un naufrage et – se retrouvant ici dans la même ville d’Ephèse – sont pris l’un pour l’autre. Le canevas produit naturellement des qui pro quo dont le potentiel comique est pleinement exploité, mais aussi des réflexions sur l’erreur, la vérité, l’illusion, et les peurs d’un siècle qui peine à se sortir de son cortège de superstitions moyenâgeuses. Beaucoup sont convoquées ici, dans un plaisant foutoir de croyances où se mêlent représentations dantesques de l’Enfer, mythologie germano-celtique des elfes et évocations gréco-romaines d’envoûtantes sirènes. Un bric-à-brac, qui superpose allègrement magie et religion, et aveugle de sa puissance menaçante Antipholus, ce frère jumeau qui, tout le long de son aventure, oublie obstinément de supposer qu’on le prend tout simplement pour ce frère disparu qu’il est parti chercher. Redoublant la gamme des malentendus grâce à un serviteur lui aussi dupliqué en un jumeau, la pièce, fraîchement traduite par Mériam Korichi, fait ainsi tourner en bourrique l’ensemble de ses personnages entraînés dans un tourbillonnant écheveau. La femme d’Antipholius, sa sœur, un orfèvre, l’inévitable policier, l’un après l’autre, se prennent allègrement les pieds dans de trépidantes méprises que seule l’arrivée du Duc saura démêler.

Ses fûts de bière à la pression et ses sanibroyeurs

C’est du joyeux Shakespeare, donc, que Dan Jemmet se propose ici de faire découvrir à travers une pièce peu connue et pourtant classique outre-Manche. On y retrouve un couple maître-valet digne de la comédie italienne, où le bouffon philosophe n’apparaît qu’en germe sous le rusé et couard serviteur maltraité par son maître. Impressionnant de variété, d’inventivité, de précision corporelle, Vincent Berger excelle dans ce rôle à l’articulation de deux traditions. Plus généralement, les comédiens proposent une remarquable interprétation, parce que tenue et débridée à la fois, où la poésie shakespearienne se laisse entendre en nourrissant la dynamique des actions. A cinq, ils campent dix personnages s’entrecroisant sur un plateau qui ressemble à une pelouse de festival rock estival, avec sa tente chapiteau, ses fûts de bière à la pression et ses sanibroyeurs par la porte desquels les personnages entrent et sortent rapidement. Des morceaux choisis de variété anglo-saxonne, des costumes et des accessoires clinquants achèvent d’installer un univers décalé, à la fois kitsch, intemporel ou années 80, qui dit l’éternel et enfantin plaisir qu’il y a à faire du théâtre lorsqu’il est ainsi subversif et festif.

Eric Demey 


La comédie des erreurs de Shakespeare, mise en scène de Dan Jemmett. Du 19 janvier au 12 février à 21h (les samedis à 15h30), au Théâtre des Bouffes du Nord, 37 bis Bd de la Chapelle, 75010 Paris. Réservations : 01 46 07 34 50

A propos de l'événement


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