Reprise du remarquable « Cosmos » de Maëlle Poesy, proposition inspirée qui donne la parole aux femmes
La metteuse en scène Maëlle Poésy, en [...]
Avec d’excellents comédiens, Serge Noyelle met en scène dans ce beau lieu du Théâtre des Calanques l’ultime pièce de Tchekhov, à la charnière de deux mondes. Dans un espace d’emblée déserté par la vie d’antan, la partition chorale fait entendre une multitude de confrontations et télescopages, où le quotidien des jours exprime l’essence de la vie.
Dès la scène inaugurale, c’en est fini du confort du passé. Dans la mise en scène de Serge Noyelle et des siens, les meubles sont recouverts de draps blancs, la vie d’antan est ensevelie. Subsistent çà et là quelques rares objets relégués, comme un samovar d’argent devenu inutile. Seul coule le champagne qui célèbre la vente de la propriété, actant le passage à une ère nouvelle, où l’aristocratie laisse place la bourgeoisie, où les héritiers oisifs et endettés laissent place aux réussisseurs qui entreprennent et s’enrichissent. Dans cet espace domestique d’emblée abandonné à la suite de l’histoire – une belle idée de mise en scène –, les personnages sont convoqués comme pour réinventer sur le plateau le rêve d’une fiction à jamais valide, depuis les retrouvailles dans la maison familiale, lorsque Lioubov arrive de Paris après cinq années d’absence, jusqu’au départ définitif, au moment des adieux. Médecin, homme d’action et d’observation qui déjà malade voyagea jusqu’au bagne de l’île de Sakhaline en 1890, Tchekhov écrit des partitions chorales où des destins diffractés et contradictoires s’entrechoquent, se rapprochent parfois, mais demeurent inconciliables. Plutôt que mal finir, les histoires d’amour le plus souvent ne commencent pas. Mêlant cruauté et ironie, insondable tragique et insoutenable légèreté, cette ultime pièce de l’écrivain russe imbrique les dimensions sociale, politique, économique, imaginaire et intime. Si elle demeure ancrée dans le quotidien des jours, l’écriture de Tchekhov touche à l’essence de la vie, au sens de l’Histoire qui se ramifie et bégaie. Évitant l’écueil d’une trop grande abstraction comme celui d’un réalisme psychologique, évitant aussi le piège du jugement envers des protagonistes troublés au point d’être incapables de s’écouter, la mise en scène parvient à faire entendre la partition dans son amplitude complexe, à en révéler la vitalité et l’émotion, notamment dans la seconde partie qui gagne en intensité.
Ausculter les êtres
Décrite par Tchekhov comme une comédie, par son contemporain le metteur en scène Stanislavski comme une tragédie, la pièce mêle ces deux aspects en auscultant les êtres, avec un regard aigu. Les moments musicaux, dont au violon une bouleversante berceuse yiddish jouée par Firs, sont bienvenus. Marion Coutris incarne Lioubov avec finesse et élégance. Inconséquente, généreuse, endeuillée par la perte de son petit garçon, elle s’avère figée dans ses humeurs. Porté par l’excellent Guilhem Saly, le pragmatique Lopakhine propose à Lioubov d’abattre les arbres pour construire des datchas destinées aux estivants – rentabilité oblige, qui anticipe une société des loisirs et l’économie de marché ! Les comédiens sont remarquables : Nino Djerbir (Gaev), Camille Noyelle (Varia), Suzanne Ballier (Ania), Lucas Bonetti (Trofimov), Jean Boissery (Pichtchik), Aurélie Imbert (Douniacha), Antonin Totot (Epikhodov), Clara Koskas (Charlotta), Pascal Delalée (Firs) et Thibaut Kuttler (Iacha). Parmi ce microcosme, les plus vulnérables sont les plus ignorés. Citons l’étonnante Charlotta, la gouvernante qui peut paraître aussi folle qu’un bouffon shakespearien, qui ici laisse éclater sa rage désespérée. Le drame l’emporte, déployant dans la vigoureuse traduction d’André Markowicz et Françoise Morvan un théâtre qui parle à tous, qui met en jeu avec acuité la fragilité des êtres.
Agnès Santi
Du 20 au 22 mars et du 27 au 29 mars à 20h30. Tél. : 04 91 75 64 59.
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