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EVENEMENT/CRITIQUE THEATRE

L’Île d’Or, pièce-monde, création collective du Théâtre du Soleil, mise en scène Ariane Mnouchkine

L’Île d’Or, pièce-monde, création collective du Théâtre du Soleil, mise en scène Ariane Mnouchkine - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Soleil
© Michèle Laurent L’Île d’Or, un merveilleux songe du Théâtre du Soleil.

création collective du Théâtre du Soleil en harmonie avec Hélène Cixous

Publié le 21 février 2022 - N° 297

Embarquons sur L’Île d’Or, à la découverte d’un éblouissant songe théâtral, né d’un immense travail mené par le Théâtre du Soleil et son capitaine Ariane Mnouchkine. Emplie d’une multitude de signes et échos au réel, la pièce-monde arrimée au Japon célèbre merveilleusement les pouvoirs et la beauté du théâtre.

C’est une pièce-monde, sur une île-monde née des rêves d’une metteuse en scène. Vous souvenez-vous de Cornélia dans Une Chambre en Inde ? Suite au retrait de Constantin Lear, metteur en scène rendu fou par les attentats de Paris, elle devait soudainement assumer la direction d’une troupe de théâtre. La nuit, dans sa chambre, en Inde, ses rêves laissaient entrer ses peurs, ses doutes, ses émerveillements. Dans L’Île d’or, le personnage de Cornélia (Hélène Cinque) est moins virevoltant : Cornélia est malade, souvent alitée, soignée par un infirmier. Un virus est sans doute passé par là. Ce sont ses rêves qui occupent toute la place, et quels rêves ! Des rêves merveilleusement spectaculaires qui font écho aux scandales de notre monde actuel, qui donnent voix à ceux et celles qui se lèvent et combattent avec courage l’infamie et le mensonge, hélas souvent au prix de leur vie, des rêves qui font entendre des chants et des poèmes, qui construisent une foule d’histoires hétéroclites de solitude, de complicité, d’amour, de théâtre… Avec Cornélia comme double d’Ariane, au fil d’une mise en abyme du Théâtre du Soleil, dans une sublime matérialisation de l’art du théâtre. Et en plus, on rit beaucoup ! Quel extraordinaire défi pourtant : comment ne pas se perdre dans cette transposition théâtrale d’un état du monde toujours plus incompréhensible et mouvant ? Eh bien le Théâtre du Soleil réussit à le faire avec clarté, subtilité, profondeur, préférant l’allusion à la simplification, l’humour au fatalisme, la célébration à la lamentation, dans un spectacle universel, polyglotte, qui ne se satisferait pas de ne creuser qu’un sillon, qui embrasse passionnément la vie qui passe si vite.

Un théâtre nourri de rencontres

Inutile de dire qu’aux obsessions et aux slogans faciles, le théâtre de L’Île d’Or préfère la réflexion, la beauté et la sagesse. « Métaphorisons », dit l’une des protagonistes. En effet. L’art de se décaler du réel tout en l’éclairant prend ici de multiples chemins, et les pas de côté font prendre de la hauteur, transcendant grâce au théâtre les chagrins et les colères. Ici les clameurs immenses d’une manifestation pour la liberté se font à travers un combiné de téléphone, ici un volcan tousse et laisse échapper un virus… La langue même transforme sa syntaxe habituelle, en rejetant le verbe à la fin des phrases, ce qui instaure une étrangeté, une forme d’élégance. Nous sommes sur une île nommée Kanemu-Jima, l’Île d’Or, inspirée en particulier par l’Île de Sado, où des intellectuels et artistes furent exilés, dont le célèbre acteur de théâtre Nô Zeami Motokiyo (1363-1443). La maire, qui fait face à des opposants prêts à tout pour prendre le pouvoir, organise un festival de théâtre qui accueille des troupes du monde entier. Deux Français nus avec un porte-voix ; un Palestinien et une Israélienne, mari et femme, qui s’engueulent sur le scénario de leur pièce ; une troupe de marionnettistes… On entend parler chinois, japonais, hindi, persan d’Afghanistan, arabe, hébreu, russe… Des masques en forme de seconde peau recouvrent la plupart des visages des protagonistes, les changements de décor forment un ballet fluide et virtuose. Le théâtre japonais n’apparaît pas ici dans ses formes ancestrales, il se mêle et s’unit plutôt à l’expression radieuse de ce théâtre nourri de rencontres, foisonnant dans ses signes et références. La musique de l’impérial Jean-Jacques Lemêtre est superbe. Ce théâtre est une merveille je dis, alors sans hésiter courez-y !

Agnès Santi

 

A propos de l'événement

L’Île d’Or
du mardi 11 janvier 2022 au dimanche 1 mai 2022
Théâtre du Soleil
Cartoucherie, Route du Champ de manœuvre, 75012

Du mercredi au vendredi à 19h30, samedi à 15h, dimanche à 13h30. Tél : 01 43 74 24 08. Durée : 2h45 avec entracte.

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