La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Krystian Lupa

Krystian Lupa - Critique sortie Théâtre
Crédit : K. Bielinski Légende : Les comédiens réactivent l’expérience de la Factory de Warhol

Publié le 10 septembre 2010

Trouver le chemin de l’humain

« Fantaisie collective » inspirée par Andy Warhol, Factory 2 réactive le lieu mythique de la scène artistique underground new-yorkaise. Le metteur en scène polonais Krystian Lupa bouscule les bonnes manières du théâtre et mène sa troupe d’acteurs dans une expérience radicale qui questionne la vie créative du groupe et le pouvoir des images.

« Les zones de contestation que Warhol a découvertes, consciemment et inconsciemment, demeurent un champ d’exploration de l’art actuel. »
 
Depuis quelques années, vous vous affranchissez de la linéarité du récit pour trouver de nouveaux processus narratifs. Quelles sont les réflexions qui vous ont amené à cette recherche ?
Krystian Lupa : Les narrations littéraires ne parviennent plus aujourd’hui à trouver le chemin de l’humain. Raconter une histoire, c’est tourner autour d’une « cloche de verre »… Notre vision intérieure des images, des faits et des gens échappe à ces processus narratifs, imposés par les habitudes et les exigences du langage. Le théâtre peut aller d’une manière bien plus radicale vers un tableau intérieur, peut prendre forme d’une éruption du contenu de la personnalité. De plus, le dialogue, unique matière théâtrale pensable au XIXème siècle, n’est plus le seul mode de construction dramatique. Dans la nouvelle dramaturgie, la matière principale devient le monologue, à tous les niveaux du conscient, le bredouillage du dialogue intérieur involontaire, les associations d’auteurs différents, le collage de contenus au moment de l’écriture ou du jeu, ou même des tableaux sans parole, des gestes, des rituels humains autonomes par rapport au temps et à l’espace de la réalité qui naît sur scène.
 
Qu’est-ce vous intéresse dans la démarche artistique de Warhol ?
K. L. : Sa façon d’ébranler les critères de l’art. Quand il dit : « Si vous voulez tout savoir sur Andy Warhol, contentez-vous de regarder à la surface de mes peintures et de mes films et de ma personne, c’est là que je suis. Il n’y a rien derrière », il est dans la provocation. Il formule son aversion pour l’art sacré et ses profondeurs… ainsi que pour les « saints artistes » qui y pénètrent. Il exprime sa fascination pour la « surface » si souvent méprisée et fait voler en éclat « la frontière invisible de l’art »… Pourquoi les taches de Pollock sont-elles de l’art, alors que la peinture fidèle d’un billet d’un dollar n’en est pas ? Parce que dans un cas, l’acte artistique de la profanation est lisible, et que, dans l’autre, le spectateur se sent agressé par le manque absolu de message. L’immersion de Warhol dans le Pop-Art est trompeuse. Quand il déclare son enchantement pour le cinéma hollywoodien, il provoque. Dans ses derniers films, ses stars ne reproduisent pas une réalité destinée à la consommation mythologico-sentimentale, elles improvisent des réalités hybrides, en explorant des régions honteuses de la personnalité, non admises dans l’art – de fait, il se situe à l’extrême opposé du cinéma de Hollywood. Les zones de contestation que Warhol a découvertes, consciemment et inconsciemment, demeurent un champ d’exploration de l’art actuel. C’est un fragment d’un vaste et long processus de mise à nu des mensonges de notre culture et de nos personnalités.
 
Comment la figure iconique de Warhol et son univers ont-ils participé de l’écriture du spectacle ?
K. L. : Le phénomène même de la Factory s’est dessiné comme axe pendant le travail. Elle aussi était composée d’un troupeau humain dont l’activité créatrice devenait la vie et vice versa. Les improvisations filmées de Warhol, telles que Vinyl ou Chelsea Girls, furent notre champ d’expérience privilégié. Nous avons cherché non pas à reconstituer l’histoire de la Factory, mais à incorporer les personnalités et les questions du groupe de Warhol, à essayer de vivre et de créer dans le cadre de cette Factory 2. Nous avons travaillé par improvisations, non pas à partir de faits historiques mais des potentialités, des tensions et des énergies personnelles. Nous sommes partis de la projection publique du film Blow job de Warhol, qui scandalisa le public mais également son propre groupe, suscitant nombre de controverses et de tensions, le plongeant dans une longue crise. Cette situation permettait de pénétrer les mécanismes du groupe.
 
Vous définissez le théâtre, notamment dans votre essai Le théâtre de la révélation, comme un instrument d’exploration et de transgression de l’individu. Qu’entendez-vous par là ?
K. L. : Pour l’acteur, la réalité théâtrale ouvre un espace de connaissance et de profonde autoréflexion. Ce processus de révélation à soi n’est ni le sujet de la représentation, ni une démonstration livrée au spectateur. C’est plutôt un des mystères de l’énergie de la vérité, qui se révèle au spectateur comme un secret, une magie du cosmos de la vie théâtrale…
 
Entretien réalisé par Gwénola David, traduit du polonais par Agnieszka Zgieb


Factory 2, d’après Andy Warhol, texte et mise en scène de Krystian Lupa. Dans le cadre du Festival d’Automne, les 11 et 12 septembre à 15h30 (intégrale, durée 7h30), le 14 (1ère partie) et le 15 (2ème partie) à 19h30. Théâtre national de la Colline, 5 rue Malte-Brun, 75020 Paris. Rens. 01 44 62 52 00 et www.colline.fr.

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