Tant d’espace entre nos baisers
Sous un titre faussement romanesque, Joël [...]
A partir de deux pièces zoologiques d’Eugène Labiche, Jean Boillot compose un vaudeville grinçant. « Tout animal a un monde », disait Deleuze : chez les parasites d’Animal(s), celui-là est celui des autres…
« Ecrites à douze ans d’intervalle, La Dame au petit chien et Un mouton à l’entresol tournent autour de la figure du parasite installé dans l’écosystème de la famille bourgeoise. D’un côté un domestique qui ne fait rien, et fait faire ses tâches à son maître ; de l’autre un jeune homme sans le sou qui emménage avec ses meubles en gage chez son créancier, jouissant de sa chambre, de ses domestiques et de sa femme. Jusqu’à présent, la lecture de Labiche oscillait entre une gentille satire sociale, et une très méchante satire. La dramaturgie allemande s’est particulièrement engouffrée dans cette deuxième voie. Notre lecture est un peu différente, partant du constat que le rire de Labiche désigne un endroit où ces parasites sociaux n’aspirent pas à une forme d’émancipation – à l’instar des valets d’autres comédies – mais cherchent à prendre la place de l’autre. Ils laissent libre cours à leur désir. Derrière le civilisé, se révèlent le pulsionnel et le désir au travail, qu’il soit désir érotique ou désir de destruction. Dans les salons bourgeois, comble de cette civilisation qui croit créer du bonheur et s’inscrit dans une volonté de progrès, tout craquelle : là où on pense maîtriser la pulsion, celle-ci s’exprime.
La pulsion sous le masque
Historiquement, on est à un moment où les objets se multiplient et deviennent économiquement accessibles. On collectionne, on entasse, on décore. Le salon bourgeois est un espace assez saturé. Dans ce salon, les gens nous font rire, car au fur et à mesure que s’expriment leurs désirs, ils les vivent pleinement en revenant à une sorte d’état de nature. La société n’est qu’un masque pour donner libre cours à la satisfaction de ses pulsions. Le désir réenchante donc une société figée et repliée sur elle-même. Le rire de Labiche n’est pas tendre, mais il n’est pas non plus méchant : il explose là où justement la civilisation explose pour révéler quelque chose de beaucoup plus profond que les apparences qui la corsètent. Les personnages révèlent au public que la satisfaction du désir n’est pas forcément là où on l’attend. Ces personnages sont comme des idiots constamment en réaction, devant résister et gérer leur désir. Au-delà de la prétention de la maîtrise, cette société se révèle différente de ce qu’elle imaginait et découvre qu’il y a de l’animal dans l’humain ».
Propos recueillis par Catherine Robert
Mardi, jeudi et vendredi à 20h ; mercredi et samedi à 19h ; dimanche à 15h. Tél. : 03 82 82 14 92.
Sous un titre faussement romanesque, Joël [...]