Saturation
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La musique contemporaine : histoire et évolution
Les compositeurs ont longtemps tourné autour du timbre, la couleur (ou le timbre) étant vus comme une conséquence de l’orchestration […]
Les compositeurs ont longtemps tourné autour du timbre, la couleur (ou le timbre) étant vus comme une conséquence de l’orchestration sur laquelle il n’y avait qu’assez peu de prise. C’est à partir de la fin du XIXe siècle surtout que la « couleur », considérée pour elle-même, devient un paramètre important de la composition. Schoenberg, dans la troisième des Cinq pièces pour orchestre op. 16 de 1909, compose une Klangfarbenmelodie (« mélodie de timbres ») : la progression de la musique, traditionnellement appuyée sur des changements de hauteur de note, repose ici sur la distribution des notes d’un même accord entre les instruments de l’orchestre, à des intensités variables. S’affranchissant de la gamme chromatique, l’écriture s’ouvre à d’autres tempéraments, aux micro-intervalles* (avec des compositeurs comme Ivan Wyschnegradsky ou aujourd’hui Pascale Criton et Georg Freidrich Haas) qui donnent à entendre des timbres jusqu’alors inédits. Les développements de l’informatique vont donner par la suite aux compositeurs des outils pour analyser le timbre. Ainsi Jean-Claude Risset, l’un des pionniers de l’informatique musicale (il participe à la création de l’Ircam au côté de Pierre Boulez), écrit-il en 1969 sa pièce électronique Mutations, où il compose « au niveau même du son ». Pour le compositeur Hugues Dufourt, co-fondateur de l’ensemble L’Itinéraire et inventeur du terme de « musique spectrale », Mutations est « la pièce véritablement fondatrice de la musique spectrale », une musique qui tend vers l’infiniment petit – Hugues Dufourt compare les nouveaux mondes sonores découverts par Gérard Grisey à ceux que la lunette astronomique a révélés à Galilée. Le timbre est désormais porteur de la forme de l’œuvre (le vaste cycle de Gérard Grisey, Les Espaces acoustiques, est une exploration fascinante des caractéristiques du son). Hugues Dufourt toujours : « Les qualités premières traditionnelles de la musique – l’harmonie, le contrepoint, la rythmique – ne disparaissent pas mais sont amenées à passer à l’arrière-plan ; elles ne sont plus destinées à être entendues comme telles ».
JGL
* On parle de micro-intervalles lorsque la musique utilise des intervalles inférieurs aux demi-tons (l’intervalle entre deux touches consécutives d’un piano, entre le do et le do# par exemple).
À écouter :
Hugues Dufourt, Lucifer d’après Pollock, Voyage par-delà les fleuves et les monts, dir. Pierre-André Valade (Timpani)
Gérard Grisey, Les Espaces acoustiques, dir. Pierre-André Valade (Accord)