THR(O)UGH et Kites de Damien Jalet

Quelle est la genèse de THR(O)UGH et Kites, présentées à Chaillot ?

Damien Jalet : Les deux pièces sont la continuité d’un compagnonnage artistique que je mène avec certaines personnes comme le plasticien Jim Hodges. Nous avons développé plusieurs pièces ensemble dont Skid, qui a aussi été montrée à Chaillot. THR(O)UGH a été créée en 2016 dans des conditions particulières. J’avais commencé à y travailler avec Jim en m’inspirant du même rituel Onbashira que pour Skid : des hommes coupent d’énormes arbres dans les montagnes de Nagano et leur font dévaler une pente raide et accidentée, c’est extrêmement dangereux. Dans la même période je me suis retrouvé témoin et survivant des attentats du 13 novembre 2015. J’ai poursuivi cette création dans une période post-traumatique et décidé d’intégrer le vertige de ce moment dans la pièce, d’y articuler physiquement ce que je n’arrivais pas à articuler verbalement. THR(O)UGH a eu pour moi un rôle cathartique, mais elle n’est pas une pièce sur les attentats. C’est une pièce très ouverte, qui explore la façon dont certains événements que l’on traverse nous transforment. La scénographie que nous avions imaginée, un énorme cylindre évoquant les troncs d’arbre qui roulent et menacent sans cesse de vous écraser, est aussi un tunnel connectant ce monde à un autre. Après un mouvement perpétuel de panique, de perte de contrôle et la mobilisation d’un instinct de survie, la fin de THR(O)UGH ouvre sur un apaisement. C’est pour moi une pièce importante et je suis très ému de la recréer aujourd’hui avec les danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève.

« THR(O)UGH et Kites témoignent de la fulgurance et de la fragilité de la vie. »

En quoi Kites est-elle différente de THR(O)UGH ?

D.J. : Kites est ma dernière pièce et la plus légère que j’ai créée. C’est une apologie de l’envol. Si comme THR(O)UGH elle témoigne d’une certaine urgence, de la fulgurance et de la fragilité de la vie, elle est traversée par un élan de joie. Kites en anglais signifie cerf-volant, cet objet qui s’élève, trace des dessins dans le ciel en fonction des courants et peut se briser très rapidement. Cette pièce déploie une partition très rapide, les danseurs courent, serpentent, n’arrêtent pas de s’entrecroiser à tel point qu’on craint leur collision.

Propos recueillis par Delphine Baffour