La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Les formations artistiques

Rapprochement entre le monde de la culture et celui de l’économie

Rapprochement entre le monde de la culture et celui de l’économie - Critique sortie
© D. R.

Publié le 10 octobre 2009

Chercheuse spécialisée dans l’économie de la culture et des médias(1), Françoise Benhamou est professeur à l’Université de Paris XIII (Villetaneuse) ainsi que dans diverses institutions françaises et étrangères. Travaillant à la frontière entre le milieu de l’économie et celui de la culture, Françoise Benhamou constate un rapprochement progressif de ces deux sphères.

Quels sont, selon vous, les enjeux centraux de la question de la formation artistique et culturelle ?
Françoise Benhamou :
Il existe, en France, une véritable coupure entre les domaines de l’éducation et de la culture. Ces deux mondes ont du mal à se comprendre, à se parler, et je dirais même qu’ils se méfient l’un de l’autre. Ce sont d’ailleurs en grande partie des institutions culturelles qui gèrent de façon autonome la question de la formation artistique. Cette question de la formation est assez complexe, car elle renvoie à une grande variété de métiers qui appellent des formations extrêmement différentes, formalisées ou non. Pour prendre l’exemple du théâtre, des formations de grande qualité existent. Mais, parallèlement à cela, il y a beaucoup de chemins dérobés loin des cursus établis et reconnus. Cet éclatement du paysage est propre au monde de la culture. Il présente l’avantage de l’ouverture et le désavantage du manque de rationalisation des compétences d’une partie des professionnels.

Quels besoins et quelles exigences liés au monde professionnel de l’art les différents cursus de formation pourraient-ils mieux prendre en compte ?
Fr. B. : Je crois que l’une des problématiques essentielles des emplois artistiques est celle de la précarité, des contrats de travail courts, séquentiels, de l’intermittence. La formation devrait pouvoir répondre à la difficulté qu’ont les artistes à stabiliser leurs revenus à un niveau acceptable. Soit en favorisant l’augmentation des rémunérations relevant strictement de l’activité artistique, soit en développant des compétences multiples – de gestion, de droit, d’économie… – permettant à l’artiste de générer des revenus complémentaires en s’investissant dans des activités connexes. Le but n’est évidemment pas de transformer l’artiste en comptable, mais de lui donner les outils grâce auxquels il appréhendera de manière plus efficace le contexte et les contraintes du milieu dans lequel il travaille.

« Je crois que l’une des problématiques essentielles des emplois artistiques est celle de la précarité. »

Les artistes vous semblent-ils demandeurs de tels outils ?
Fr. B. :
Oui. Alors que jusqu’à la fin des années 1980, un clivage très fort séparait les mondes de la culture et de l’économie (le vocabulaire de l’un ne pénétrait pas dans l’autre), un rapprochement s’est peu à peu produit. Aujourd’hui, on constate un appétit croissant de connaissances économiques de la part des professionnels de la culture. D’ailleurs, lors du conflit des intermittents du spectacle, en 2003, qui représente à sa façon l’un des moments importants de l’histoire de l’économie culturelle, ce rapprochement est apparu au grand jour.  

Ne doit-on pas craindre une instrumentalisation de la culture par l’économie ?
Fr. B. :
C’est, en effet, un aspect négatif possible du rapprochement de ces deux mondes. Affirmer, par exemple, que l’on va sortir de la crise économique par la culture est faux et dangereux. Il est indéniable que la culture joue un rôle dans l’économie, mais il ne faut pas surévaluer ce rôle, car cela se retournerait contre la culture. Sans tomber dans cet extrême, les acteurs du monde artistique ont aujourd’hui la volonté de comprendre les modèles économiques. Et c’est, je crois, en les maitrisant qu’ils seront capables de s’en servir pour accompagner leurs projets, mais aussi pour se défendre de l’argumentation économique quand elle devient envahissante. L’économie est une contrainte pour le domaine artistique lorsque celui-ci est soumis à la fragilité et à l’incertitude de ses budgets. Le monde de la culture a besoin de temps, de pérennité. A partir du moment où l’Etat et les pouvoirs publics locaux s’engagent dans une politique artistique ambitieuse, permettant aux professionnels de la culture de travailler dans une forme de tranquillité, ceux-ci peuvent en contrepartie apprendre à rationaliser leurs activités. Comment construire une politique tarifaire qui prenne en compte les objectifs de démocratisation culturelle ? On sait modéliser les politiques de prix, on connaît des outils permettant de générer des recettes additionnelles sans polluer la fréquentation des publics, sans privatiser l’espace public… Tout cela s’acquiert. L’apprentissage de cette rationalisation ¬- dans le respect d’une vision exigeante de l’espace artistique public – constitue, selon moi, l’un des grands enjeux de la formation culturelle.

Propos recueillis par Manuel Piolat-Soleymat

Françoise Benhamou a notamment signé L’économie de la culture, La Découverte, 1996-2004.

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