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« Liberté Cathédrale » de Boris Charmatz, une création monumentale

« Liberté Cathédrale » de Boris Charmatz, une création monumentale - Critique sortie Danse Paris Théâtre du Châtelet
Crédit : Blandine Soulage Liberté Cathédrale de Boris Charmatz par le Tanztheater Wuppertal et [terrain]

Théâtre du Châtelet / Chor. Boris Charmatz / Tanztheater Wuppertal

Publié le 27 février 2024

Une création monumentale de Boris Charmatz, vaste fresque visuelle et sonore qui ouvre divers questionnements.

Dans le titre de Boris Charmatz, Liberté Cathédrale, on pressent à tort ou à raison une opposition dans l’association que le chorégraphe, récemment nommé à la tête du Tanztheater Wuppertal autrefois dirigé par Pina Bausch, traite avec subtilité. Liberté Cathédrale, créé dans une église monumentale pour plus de vingt danseurs du Tanztheater et de [terrain], la compagnie du chorégraphe, a investi l’un des halls gigantesques des anciennes Usines Fagor à la Biennale de Lyon, avant d’être proposé au public parisien. Liberté Cathédrale s’ouvre comme une grande fresque, où les danseurs envahissent l’espace de leur course et chantent en chœur et a capella des lalala aux intonations beethoveniennes, qui se révéleront être la dernière sonate opus 111 du compositeur, et chutent d’un même mouvement, s’effondrent, se tortillent au sol, crapahutent, et se relèvent pour enchaîner une nouvelle ruée, illustration saisissante de cette liturgie du corps glorieux et vulnérable, commun à la danse et à la religion, qui nous raconte le surhomme et son pendant, l’être pitoyable et mortel.

Pour qui sonne le glas ?

Bientôt, tandis que sonnent des cloches désordonnées, la gestuelle se singularise et s’intensifie, se « chaotise » pourrait-on dire, chacun apportant son vocabulaire chorégraphique, avec une forte disparité de mouvements, puisque la distribution rassemble des interprètes venant de l’Opéra de Paris, des anciens de chez Pina Bausch, en passant par toutes sortes de formations. Cette dislocation des langages comme des mouvements fait qu’ils ne « s’entendent plus », comme en témoigne la séquence suivante, où les danseurs et danseuses, bouche béante, profèrent dans le silence des mots muets et s’éparpillent. Faut-il voir un parallèle entre cette Cathédrale et l’épisode biblique de la Tour de Babel, dont les dimensions gigantesques écrasent l’humanité au lieu de la libérer tandis que s’affirment des langues différentes ? Peut-être. Peut-être aussi Boris Charmatz pose-t-il la question de la démocratie qui menace d’éclater sous la pression des individualismes de nos sociétés actuelles ? Des tensions entre liberté et cathédrale, universalité et particularismes ? Ou bien nous raconte-t-il la fin de cette humanité inattentive et agressive envers les autres comme envers la nature, comme en témoigne une troisième partie où les danseurs viennent agresser les spectateurs, ou la fin grandiose, ressemblant à un charnier, où les corps précaires, portés, hissés, tirés, évoquent les images de nos écrans quotidiens : la guerre, la mort, l’effondrement, tandis que l’orgue orchestré par Phill Niblock nimbe de ses sons mélodieux, puissants et funèbres toute la scène. Jusqu’à ce qu’une dernière femme en équilibre fragile sur demi-pointe ferme le banc tandis que tout s’arrête brusquement.

Agnès Izrine

A propos de l'événement

Liberté Cathédrale
du dimanche 7 avril 2024 au jeudi 18 avril 2024
Théâtre du Châtelet
Place du Châtelet, 75001 Paris

à 15h, 19h ou 20h. Tél : 01 40 28 28 40.

Spectacle vu le 24 septembre aux Usines Fagor, Biennale de la danse de Lyon.

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