Le Cirque contemporain en France
L’émotion du point de suspension
Fondation BNP Paribas : 15 ans d’engagement auprès des Arts du Cirque / Celui qui tombe / création / conception, mes et scénographie Yoann Bourgeois
Publié le 11 novembre 2014Tenir debout, quand le monde alentour chancelle. Tenir quand même… Ils sont six, reclus sur un plancher de bois mobile, qui luttent contre les folles oscillations du sol, sous la menace de la chute. Acrobate, jongleur et metteur en scène, Yoann Bourgeois aborde le cirque comme un langage qu’il déconstruit pour en explorer les résonnances poétiques. Après L’Art de la fugue, il poursuit, avec Celui qui tombe, sa recherche sur le principe du « non-agir ».
Qui donc est « Celui qui tombe » ?
Yoann Bourgeois : Il désigne plus une métaphore de l’humain qu’un personnage. Ce projet s’inscrit dans une recherche que je mène depuis plusieurs années à partir de mon expérience de jongleur et d’acrobate, dans une autre perspective que la surenchère et la performance. En déconstruisant les figures de cirque pour en saisir les motifs élémentaires, j’ai développé une pratique où les objets me manipulent autant que je les manipule. Transposé dans l’acrobatie, ce principe consiste à se laisser traverser par les forces physiques : l’« acteur-vecteur » est agi par des flux qu’il traduit comme il peut. Je radicalise ici ce parti-pris et considère que toute situation naît d’un rapport de force. D’où l’intérêt de travailler à partir de contraintes physiques appliquées à l’agrès le plus élémentaire : un sol. J’ai donc imaginé une scénographie composée d’un plancher de six mètres de côté, mu par différents mécanismes qui reprennent les mouvements basiques des disciplines de cirque : le rebond, le ballant… Des hommes et des femmes, une petite humanité en somme, tentent de rester debout sur ce sol mouvant et doivent donc constamment s’adapter. Ces multiples contraintes font poindre des situations théâtrales, possiblement fictives. Je n’essaie pas de les définir ou de les résoudre dans une fiction mais au contraire de rester sur cette crête où la chose apparaît.
« J’ai développé une pratique où les objets me manipulent autant que je les manipule. »
Pourquoi ?
Y. B. : Je préfère laisser au spectateur la liberté d’achever le poème, plutôt que de le manipuler par un discours ou des émotions. D’ailleurs, je ne crée pas en suivant un projet prédéfini avant le début des répétitions. Je privilégie un processus expérimental, empirique, qui se construit avec l’équipe artistique. Nous avons travaillé à partir d’actions élémentaires telles que marcher, tirer, porter, monter, glisser, tomber… Le mouvement nait de la dynamique des corps en quête d’un équilibre, d’un point de suspension qui ouvre le sens. Ce plateau peut tantôt se présenter comme tel et dévoiler ses mécanismes à vue, tantôt figurer des lieux. Avec les six interprètes, certains circassiens, d’autres danseurs ou comédiens, nous cherchons des actions suggestives, éloquentes mais polysémiques. Au cours des semaines d’expérimentation, nous avons accumulé beaucoup de « matière », que je sculpte rythmiquement et plastiquement pour dégager une théâtralité singulière.
Cette notion du « point de suspension », centrale dans votre cheminement d’artiste, fonde-t-elle une sagesse ?
Y. B. : Peut-être recèle-t-elle une dimension éthique… qui explique que je continue à faire du spectacle dans une société du spectacle. Le point de suspension évoque l’endroit où le poids s’abolit, l’éternité ou encore ce moment particulier, juste avant que le spectacle commence… Le silence de tous les possibles.
Entretien réalisé par Gwénola David
A propos de l'événement
Celui qui tombedu samedi 13 septembre 2014 au mardi 9 juin 2015
En tournée. 13 sept, avant-première MC2 Grenoble, 20 et 21 sept, Opéra de Lyon / Biennale de la danse de Lyon, 25 ou 26 sept, Mâcon, 1-4 oct, Manège de Reims, 9-10 oct, Les Salins, Martigues, 14-15 oct, Théâtre du Vellein, 18 ou 19 nov, Le Moulin du Roc, Niort, 21 ou 22 nov, Festival Automne en Normandie, Théâtre de Vernon, 4-5 ou 5-6 déc, Hippodrome de Douai, festival Multipistes, 17-19 déc, Maison de la Culture, Bourges, 13-17 jan, MC2: Grenoble, 26-27 mars, L’Avant-Seine, Colombes, 8-9 avr, Comédie de Valence, 3-9 juin, Théâtre de la Ville, Paris.