Echapper aux blocages et aux peurs
Formée à L’Ecole de Chaillot puis au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, Valérie Dréville dirige aujourd’hui, parallèlement à sa carrière de comédienne, des ateliers d’art dramatique à l’Ecole régionale d’acteurs de Cannes (ERAC). L’ancienne élève d’Antoine Vitez et de Claude Régy souhaite transmettre à ses étudiants les outils qui leur permettront de travailler seuls, d’être le plus possible créateurs de leurs propres rôles.
Quels sont les principaux enseignements que vous ont transmis Antoine Vitez et Claude Régy, durant vos années d’études ?
Valérie Dréville : Quand on commence à étudier l’art dramatique, on a à la fois beaucoup d’a priori, beaucoup de certitudes et beaucoup de complexes. A l’Ecole de Chaillot, avec Antoine Vitez, j’ai appris à chasser mes peurs, à me dire que sur une scène tout pouvait devenir possible. Antoine Vitez possédait cette faculté rare de mener les acteurs au-delà de leurs limites. Cela, par la confiance, sans aucune violence, à travers une grande souplesse, une grande liberté. Lorsque l’on travaillait avec lui, subitement, le monde nous appartenait. Cette sensation est extraordinaire. Il nous incitait à faire théâtre de tout, à nous plonger dans un champ d’expérimentation aux possibilités infinies.
Pourquoi avoir décidé d’entrer au Conservatoire après L’Ecole de Chaillot ?
V. Dr. : Car, j’avais le goût de l’école, j’aimais passionnément cela. Antoine Vitez disait que l’école est le plus beau théâtre du monde. Il avait raison. On n’a pas de contrainte, dans un cours, pas de cadre : on peut tout essayer, se lancer les défis les plus incroyables, se tromper… L’école, c’est un formidable laboratoire.
« La formation d’un acteur se compose d’une série de choses qui laissent des traces, qui le transforment en profondeur, le déterminent durant toute sa vie. »
La rencontre de Claude Régy a-t-elle été, pour vous, aussi forte que celle d’Antoine Vitez ?
V. Dr. : Oui, bien que totalement différente. Claude Régy était mon professeur en deuxième année du Conservatoire, une école au sein de laquelle on demande souvent aux élèves de prouver ce qu’ils savent faire, d’utiliser toute la palette de leur talent, au risque de frôler le cabotinage. Dans sa classe, Claude Régy nous demandait de faire table rase de toute cela. Il était à l’opposé de cette vision de l’acteur : il ne nous demandait pas de jouer des scènes, mais de les rêver, de laisser une place importante au silence, au vide. Claude Régy nous a ainsi appris à ne pas nous prendre pour des personnages, mais à considérer que nous étions avant tout nous-mêmes, des acteurs qui entrent en scène avec leur propre personnalité. Cette rencontre a été pour moi un véritable choc. L’enseignement de Claude Régy, comme celui d’Antoine Vitez, ou plus tard tout ce que j’ai appris auprès d’Anatoli Vassiliev en Russie, travaillent encore en moi aujourd’hui. La formation d’un acteur se compose d’une série de choses qui laissent des traces, qui le transforment en profondeur, le déterminent durant toute sa vie.
Quelles sont les notions essentielles que vous souhaitez transmettre aux élèves qui participent à vos ateliers, à l’ERAC ?
V. Dr. : Aujourd’hui, en enseignant à mon tour dans une école, j’essaie de transmettre tout ce que j’ai moi-même reçu des grands maîtres que j’ai eu la chance de côtoyer : la vision du non jeu et le rapport profond au texte de Claude Régy ; la confiance en l’acteur d’Antoine Vitez ; l’idée de flux, de processus, de trajectoire que j’ai expérimentée avec Anatoli Vassiliev. Auprès de ce dernier, j’ai acquis des outils pour travailler seule, pour analyser les différents problèmes et phénomènes auxquels un comédien peut être confronté lors d’une répétition ou d’une représentation. J’aimerais, à mon tour, apprendre à mes élèves à ne pas attendre qu’un professeur ou qu’un metteur en scène leur donne la becquée. J’aimerais les aider à s’acheminer, sur scène, vers une forme de liberté, à être le plus possible créateurs de leurs propres rôles, à vaincre leurs blocages, leurs fausses appréhensions, tout ce qui les entrave.
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat