La Terrasse

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La saison classique en France - 2009

Chefs et orchestres français : conjonction impossible ?

Chefs et orchestres français : conjonction impossible ? - Critique sortie
Bruno Ferrandis, un chef français en Californie, directeur musical du Santa Rosa Symphony. Photo : Clay McLachlan/ClayPix.com

Publié le 2 octobre 2009

Pourquoi les chefs français dirigent-ils si peu « à la maison » ? État
des lieux, témoignages et explications.

Tous les orchestres permanents parisiens ont un chef étranger ; parmi les associations symphoniques, seul l’Orchestre Colonne – avec Laurent Petitgirard – fait exception. En province, des huit formations labellisées « Orchestre national », deux seulement sont confiées à un Français : l’orchestre de Lille, dirigé depuis sa fondation par Jean-Claude Casadesus, et celui de Lorraine, confié à Jacques Mercier en 2002. Il ne s’agit pas, bien sûr, de revendiquer quelque absurde préférence nationale dans la nomination des directeurs musicaux. On peut cependant se demander s’il n’est pas plus difficile pour un chef français de se faire une place dans la vie musicale de son pays. « C’est évident » répond Frédéric Chaslin, qui mène aujourd’hui – à l’étranger – une belle carrière de chef invité. Et il avance une explication : « un orchestre a tendance à penser qu’un chef né dans le même pays est formé à la même école, et que donc il n’aura rien à apprendre aux musiciens. Ce qui est bien évidemment faux ». Ainsi les chefs français se retrouvent-ils dans une situation étrange où, jeunes, ils peuvent commencer l’apprentissage du métier auprès des orchestres nationaux – Frédéric Chaslin a dirigé toutes les grandes formations françaises – mais cet apprentissage est sans suite, ce que regrette celui qui a été chef à l’Orchestre symphonique de Jérusalem et à l’Opéra de Vienne : « il est très tentant de reprendre des engagements avec des orchestres avec lesquels on a créé des liens, ce qui n’a jamais été le cas pour moi en France, sauf avec l’Orchestre de Paris au sein duquel j’ai été formé, comme assistant de Barenboïm ».

« Les chefs français en France ont très peu de chance de jouer le grand répertoire » B. Ferrandis

Autre écueil, celui de la spécialisation des jeunes chefs dans des répertoires marginaux, dont il devient ensuite difficile de sortir. La carrière de chefs comme Pascal Rophé ou, plus récemment, Jean Deroyer reste largement cantonnée, auprès des orchestres français, dans le répertoire contemporain. À moins de fonder leur propre ensemble – comme François-Xavier Roth avec Les Siècles – la diversification du répertoire reste peu accessible. Remarqué dans les années quatre-vingt-dix pour ses interprétations d’œuvres difficiles avec l’Orchestre philharmonique de Radio France (créations de Claude Ballif, d’Ahmed Essyad ou d’Yves Prin, toutes portées au disque), Bruno Ferrandis le regrette : « Les chefs français en France ont très peu de chance de jouer le grand répertoire. Pour les étrangers, en revanche, c’est une terre d’élection. Ici, aux Etats-Unis, je profite d’ailleurs de l’effet inverse ». En effet, nommé en 2006 directeur musical du Santa Rosa Symphony Orchestra – une formation vieille de quatre-vingt-un ans qui s’inscrit dans le formidable maillage musical de la Californie du Nord – Bruno Ferrandis peut enfin toucher à une partie importante du métier : la programmation. Devenu chef « exotique », n’y a-t-il pas un risque d’être incité à diriger surtout le répertoire français ? « Le public et les musiciens attendent qu’on leur apporte des choses qu’ils ne connaissent pas, et donc je dirige bien sûr des compositeurs français comme Dutilleux ou Messiaen, qui reste méconnu ici. Mais je refuse d’être mis dans une niche. Pour l’orchestre, il faut du grand répertoire, du contemporain, des opéras en concert. De toute façon, le cloisonnement est moindre ici qu’en Europe ». Il est d’ailleurs intéressant de voir qu’un autre grand absent des pupitres français, le directeur musical du Royal Scottish National Orchestra Stéphane Denève, y dirige assez peu de répertoire français (un Ravel, un Dutilleux, un Connesson cette saison) mais y aborde Mahler, Janacek, Stravinsky, Britten ou Oliver Knussen. On pourrait dire la même chose de Bertrand de Billy qui, à la tête de son Orchestre symphonique de la radio autrichienne, dirigera en mars les Huitième et Neuvième Symphonies de Mahler, au Konzerthaus et au Musikverien de Vienne. Bref, ils font leur travail. Peut-être ces expériences – et un peu de volonté de la part des administrateurs – permettront-elles un jour d’en voir les fruits avec des orchestres français.
Jean-Guillaume Lebrun

 

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