La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Hiver

Hiver - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Christophe Urbain Légende photo : Guy Pierre Couleau offre un version épurée et intense d’Hiver, de Zinnie Harris.

Publié le 10 janvier 2011 - N° 184

Guy Pierre Couleau met en scène Hiver, de la jeune dramaturge anglaise Zinnie Harris, et propose une lecture épurée et intense de ce texte à l’économie tragique haletante et troublante.

Force est de remarquer d’abord la gageure qu’impose le texte de Zinnie Harris : faire jouer un enfant. Non pas comme accessoire ou élément de réalisme, mais comme acteur à part entière du drame qui, en l’occurrence, ne peut se jouer sans lui puisqu’il en est le centre et constitue l’enjeu de la tragédie. Guy Pierre Couleau réussit admirablement, dans sa version vue à Colmar, à faire oublier l’exploit, tant le jeune Charly Kappler (qui a créé le rôle en alternance avec Arnaud Mure et Nicolas Dick, rôle qui sera repris au Théâtre de la Tempête par David Boissel, Mattéo Eustachon et Thomas Laliberté) est confondant d’aisance et de naturel. Véritable compagnon d’aventure des comédiens adultes, le jeune Charly réussit à faire l’enfant sans en singer les postures et, à cet égard, le travail de direction mené avec patience par Guy-Pierre Couleau est à saluer. La présence du petit n’entrave en rien le déploiement du talent des adultes et Anne Le Guernec, Philippe Cousin et Philippe Mercier interprètent avec une authentique liberté et une vérité aux effets chromatiques complémentaires ces trois personnages pris dans les tourments de la guerre et des petits arrangements qu’elle entraîne.
 
Minimalisme formel et maximisation du tragique
 
Philippe Mercier, tout en bonhomie finaude et retorse, est Leonard, le grand-père de l’enfant qui accepte de le vendre contre un quartier de viande à Maud (Anne Le Guernec, intense, belle et déchirante) qui cherche à remplacer le petit qu’elle a perdu. Lorsque Grenville (terrifiant et misérable – superbe Philippe Cousin) revient du front, il croit retrouver la femme dont il a oublié les traits et le bébé qu’il n’a pas vu grandir. Sur ce canevas quasi anodin, Zinnie Harris brode à points serrés une tragédie qui installe progressivement la terreur et la pitié. On retrouve dans ce texte cet art que la dramaturge maîtrise avec un rare aplomb et qui consiste à faire naître l’extraordinaire du banal, l’épouvante du presque anecdotique et l’héroïsme du cœur et des gestes des petites gens. La scénographie de Raymond Sarti, sobre et suggestive, joue de ces effets de contraste entre réalisme et épure, plaçant l’intrigue hors du temps, dans l’universel d’une tragédie aux allures de dessin d’enfant. Les lumières de Laurent Schneegans participent à installer une ambiance de sauvagerie d’où naît la civilisation, dont Maud, louve cruelle et passionnée, est l’instrument paradoxal. La matière scénique et le jeu des comédiens jouent habilement de ce constant paradoxe entre l’amour et la haine, le doux et le brutal, la guerre et la paix, et les effets sonores de Grégoire Harrer amplifient l’impression qu’une lutte se mène sur scène entre le chaos et l’ordre d’une sérénité gagnée comme une victoire. Guy-Pierre Couleau orchestre ces contradictions et ces contrastes avec une belle assurance et offre un spectacle qui atteste de la modernité, et donc de l’intemporalité, de la tragédie.
 
Catherine Robert


Hiver, de Zinnie Harris ; mise en scène de Guy-Pierre Couleau. Du 14 janvier au 13 février 2011. Du mardi au samedi à 20h30 ; le dimanche à 16h30. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris. Réservation au 01 43 28 36 36. Durée : 1h40. Spectacle vu à la Comédie de l’Est, à Colmar.

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