La Forêt qui marche
Tenant à la fois du cinéma, des arts visuels [...]
Dans un internat, une jeune fille aurait reçu son petit ami dans sa chambre. L’affaire ne ferait pas grand bruit si elle ne se déroulait en Iran. Hearing, signé par le réalisateur et metteur en scène Amir Reza Koohestani, est une pièce aussi simple que subtile.
Des rires ? Des éclats de voix ? Des murmures ? Qu’a donc vraiment entendu Samaneh ce soir de nouvel an à travers la porte de la chambre de son amie Neda ? Les deux jeunes filles sont pensionnaires d’un internat universitaire et leur aînée, qui les interroge, risque de devoir rendre des comptes au comité pour avoir laissé un jeune homme déguisé en femme pénétrer le bâtiment. Surtout qu’elle-même s’était ce soir-là absentée… Mais y a-t-il vraiment eu un jeune homme dans cette chambre ? Neda nie. Samaneh est aussi affabulatrice qu’envieuse. Dans la quête de vérité, les certitudes se construisent aussi vite qu’elles se défont. L’interrogatoire se répète donc. Installée dans le public, la surveillante chef renouvelle ses questions. Les réponses sont identiques, en partie. Puis se déforment. On convoque donc l’image. L’enquête rebondit. Les pistes se multiplient. Et au fur et à mesure, on découvre que ce qui semblait se jouer en direct se répète en fait dans la mémoire de Samaneh, une dizaine d’années plus tard. Bien qu’anodine en apparence, cette affaire aura laissé dans la vie de Neda des traces indélébiles…
Courage politique et audace esthétique
Amir Reza Koohestani est un metteur en scène trentenaire dont la réputation mondiale prolonge le succès national, dans une scène théâtrale iranienne beaucoup moins moribonde qu’on ne pourrait le croire. Il a écrit et mis en scène cette pièce à partir d’un film de 1989 signé d’une autre « star » iranienne, Abbas Kiarostami. D’une manière à la fois simple et complexe, il aborde ainsi la thématique de la liberté laissée aux femmes en Iran, mais aussi plus largement celle d’une société verrouillée, surveillée, où chacun doit se méfier de l’autre. Et, petit à petit, au-delà du propos sociétal, c’est une question plus philosophique qui s’impose. Celle de la vérité et de notre capacité à y accéder, celle de notre rapport à l’image également. Quand la parole ne prouve rien, l’image aujourd’hui tant convoquée reste incapable d’ouvrir les secrets les mieux gardés, semble nous dire Hearing. Par une dramaturgie de la fugue, avec une interprétation aussi dépouillée que précise, où chaque variation dans l’interprétation est aussi éloquente qu’imperceptible, favorisée en cela par une lumière millimétrée, Amir Reza Koohestani allie au courage politique l’audace esthétique et propose dans ce Festival d’Automne un rendez-vous qu’il serait dommage de manquer.
Eric Demey
à 21h. Relâche le dimanche. Tel. : 01 43 57 42 14. Spectacle vu à La Bâtie 2015 Festival de Genève. Durée : 1h10
Egalement les 15 et 16 novembre au théâtre de la Vignette à Montpellier, les 17 et 18 à l’Espace Pluriels à Pau, les 25 et 26 à Bonlieu, scène nationale d’Annecy, les 1er et 2 décembre à la scène nationale de Cherbourg, du 6 au 10 au CDN de Rouen, les 13 et 14 au CDN de Caen. Les 9 et 10 mars à la scène nationale d’Arras, les 16 et 17 au théâtre d’Arles, du 21 au 24 au Centre dramatique et à la scène nationale de Besançon, les 28 et 29 au TAP Poitiers, et du 4 au 7 avril à Nantes (Lieu Unique et Grand T)