La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Hamlet

Hamlet - Critique sortie Théâtre
Crédit : José Gherrak Légende : Pierre Cartonnet, fauve acrobate, dit à même le corps les questions d’identité d’Hamlet

Publié le 10 novembre 2010

David Bobee signe une mise en scène magistrale du chef-d’œuvre de Shakespeare. Radicalement juste et contemporaine.

Noir. Un noir obscur, brillant, froidement carrelé en surface lisse. Noir brutal impénétrable, fascinant. Une chambre mortuaire. C’est là, au secret de cet implacable enclos cerné de paillasses d’autopsie et de tiroirs réfrigérés, que se joue la tragédie d’Hamlet, là que se débattent les doutes et les dilemmes, les machinations, les intrigues scélérates et les révélations. Là, en son for intérieur… « C’est une pure fabrication de ton cerveau. Dans la création de ces illusions sans corps, le délire est très imaginatif. » lance Gertrude à Hamlet, ignorant la vision spectrale du roi assassiné. Par delà le royaume du Danemark et les lacets de l’histoire, habilement nouée, Shakespeare parcourt les méandres d’une crise intime qui résonne à la charnière de l’ère féodale, où l’identité se définit par la fonction sociale et la descendance, et de la Renaissance, qui voit émerger l’individu comme sujet libre et prélude à l’inquiétude de la conscience moderne. Jeune homme en révolte, jeté dans le monde adulte par la disparition du père, le futur héritier du trône danois est seul face à son choix existentiel : être, advenir à la société des hommes par la vengeance et obéir aux lois de la filiation, ou ne pas être, condamné à la solitude… à l’innocence de l’enfance ?
 
Une crise de l’action, crise intime et politique
 
Sans doute la figure d’Hamlet, parée de l’aura du mythe, restera-t-elle toujours fantôme insaisissable, qui aimante comme un miroir le désarroi de chaque époque. David Bobee déboulonne en tout cas l’icône romantique trônant gentiment sur le piédestal poussiéreux des « Grandes Œuvres ». Il déploie une lecture à la fois fidèle aux enjeux de la pièce et radicale dans son esthétique, tenue de bout en bout et soutenue par la traduction de Pascal Collin, qui décape le texte de tout maniérisme ampoulé et lui donne une poésie brute. Dans la scénographie paradoxalement réaliste et abstraite, tour à tour morgue, palais, chemin égaré, flots agités et univers mental, le metteur en scène compose des images saisissantes par leur beauté sombre et leurs résonances métaphoriques. Il inscrit la langue de Shakespeare à même les corps. Pierre Cartonnet fauve acrobate, distord les contours de la morphologie, brouille les repères orthonormés de l’espace, traduit dans son corps bouleversé les vacillements de l’identité et les dérèglements d’un ordre politique précipité dans le chaos par le meurtre du roi. Servie par une troupe cosmopolite (dont Murielle Colvez, Jérôme Bidaux, Clément Delliaux et Caroline Leman, deux comédiens de l’Oiseau-Mouche…), qui s’accorde dans ses différences, cette mise en scène donne magistralement, malgré quelques coquetteries et effets appuyés, toute la force troublante, violente, de cette crise intime et politique.
 
Gwénola David


Hamlet, de Shakespeare, nouvelle traduction de Pascal Collin, mise en scène et scénographie de David Bobee. Du mercredi 24 au samedi 27 novembre, à 20h30. Maison des Arts, place Salvador Allende, 94000 Créteil. Rens. 01 45 13 19 19 et www.maccreteil.com. Durée : 2h45. Le texte est publié aux Editions Théâtrales. Spectacle vu aux Subsistances, à Lyon.

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