La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Guy Pierre Couleau

Guy Pierre Couleau - Critique sortie Théâtre Colmar _Comédie de l’Est
Guy Pierre Couleau CR.DR

Région / Comédie de l’Est / d’Eugène O’Neill / mes Guy Pierre Couleau

Publié le 24 février 2014 - N° 218

Guy Pierre Couleau met en scène Désir sous les Ormes d’Eugene O’Neill (1888-1953), remarquable tragédie du Nouveau Monde où l’histoire d’amour se mêle à une parabole sur la faillite d’une civilisation. Une œuvre méconnue, novatrice et bouleversante.  

Quelle est cette pièce, considérée comme la première tragédie américaine ?

Guy Pierre Couleau : O’Neill situe la fable en 1850 en Nouvelle Angleterre, sur une terre ingrate où rien ne pousse. Ephraïm Cabot a travaillé avec acharnement pour construire sa ferme ; il a trois fils, les deux aînés Simeon et Peter partent à l’Ouest, Eben, né d’une seconde femme morte à la tâche, est très lié à cette terre. Lorsqu’Ephraïm ramène de la ville sa nouvelle épouse, Abbie, une histoire d’amour naît entre elle et Eben… Une histoire qui va s’avérer tragique et cruelle. Depuis six ou sept ans, je souhaite faire entendre cette tragique et émouvante parabole. La pièce alerte sur les dangers et la faillite d’une civilisation, le gâchis effectué par l’être humain de son milieu naturel et de sa propre nature, en soi et entre soi et l’autre. O’Neill a déclaré lors d’une conférence de presse que les Etats-Unis avaient au cours de leur rapide progression choisi les mauvaises voies et « totalement échoué ». L’œuvre est une vision prophétique des désastres écologiques, politiques et humains qui nous concernent toujours.

« O’Neill souhaite créer une autre manière d’écrire le théâtre pour l’Amérique. »

Comment traitez-vous le contexte historique de la pièce ?

G. P. C. : J’ai voulu que la pièce et son sens profond résonnent dans notre actualité. O’Neill situe l’action environ soixante-dix ans avant la date de l’écriture, et je situe la pièce à une certaine distance historique dans les années 70 au moment du choc pétrolier, à une période où notre monde contemporain connaît la déroute et s’enfonce dans une crise profonde. Tout se passe à l’intérieur d’une sorte de ferme, d’endroit du travail qui part en déliquescence. Delphine Brouard a réalisé une très belle scénographie.

Comment porter à la scène la langue totalement atypique ?

G. P. C. : O’Neill a osé inventer une nouvelle langue, très spécifique, plus poétique que réaliste, qui n’a rien à voir avec celle parlée en Nouvelle Angleterre au XIXème siècle. C’est une langue fautive, tronquée, avec des mots coupés, une langue qui implique une rudesse de rapport entre les personnages et suggère que quelque chose ne peut fondamentalement pas se dire. On est obligé de mettre en jeu le corps qui parle et supplée à la parole insuffisante. C’est très intéressant à travailler. Françoise Morvan qualifie la pièce de « récitatif grandiose », elle a réalisé un travail très juste dans sa traduction, effectuée pour Mathias Langhoff il y a 20 ans, et qui va enfin être publiée par les Editions de l’Arche. Elle est ensuite venue à Synge grâce à cette pièce.

Comment O’Neill s’empare-t-il des figures tragiques de Médée et Phèdre ? 

G. P. C. : Il se sert des tragiques grecs comme d’une matière intemporelle qui traverse les époques et interroge la société à travers la violence qu’elle peut provoquer. Le personnage féminin, extraordinaire, aspirant à une impossible liberté, me fascine. Les personnages sont murés dans leur propre insuffisance mentale et sentimentale. A la différence des tragédies grecques où on est tout de suite dans la tragédie, là se déploie une grande histoire d’amour qui se résout tragiquement dans les toutes dernières pages de la pièce. O’Neill retrouve ses propres racines par les dramaturgies anciennes, mais à sa façon. Nourri aussi des dramaturges européens comme Strindberg, Maeterlinck, Synge et autres, d’auteurs tels que Walt Whitman, Thoreau ou Walden, il souhaite créer une autre manière d’écrire le théâtre pour l’Amérique. Précurseur, audacieux et moderne, il prend le risque d’inventer quitte à ne pas être compris. L’œuvre recèle une puissance métaphysique. C’est rare de rencontrer une pièce qui parle profondément de l’être humain et de la difficulté à vivre.

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement

Désir sous les Ormes
du mercredi 19 mars 2014 au mardi 29 avril 2014
_Comédie de l’Est
6 Route d'Ingersheim, 68000 Colmar, France

Du 18 au 29 mars à 20h30 sauf lundi et jeudi à 19h, samedi à 18h, relâche dimanche. Tél : 03 89 24 31 78. Création puis tournée. A La Filature de Mulhouse du 8 au 11 avril. Au Nest, CDN de Thionville les 15 et 16 avril. A La Comédie de Genève du 29 avril au 11 mai.

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