Yves Rousseau, « les matins reconquis à l’archet de mes doigts »

Yves Rousseau : Ma première rencontre avec lui remonte à l’album Léo
Ferré 67, le seul disque de Ferré dans la discothèque de mes parents ! Je me
souvenais de sa voix. Et puis j’ai rencontré Alain Raemackers, avec qui je
partage une vraie communauté d’idées et de goûts, et qui m’a fait découvrir
Sur la scène, filmé par la RTBF à l’Olympia à l’automne 72-73. C’était la
haute époque de Ferré, après 68, une époque musicalement très forte où il
remplissait les salles aux trois quarts de fans absolus, les autres venant pour
le casser ! Au début du spectacle, on voit Ferré se diriger vers le micro comme
un lion vers un quartier de viande, donnant l’impression à la fois d’une urgence
artistique et d’une lutte. Plus encore que la musique ou les chansons, ce qui
m’a marqué, c’est la puissance, l’énergie, les cornes en avant. C’est passé par
le c’ur et pas par la tête, et j’ai ressenti des effets similaires à ceux que
peuvent faire naître les grands solistes de jazz.

Y. R. : Alain m’a parlé un jour de Poète? vos papiers ! Nous avons
sélectionné ensemble dix-neuf textes dans ce recueil plus un bis, Marie,
dont le texte est d’Apollinaire, façon de rappeler aussi l’hommage constant de
Ferré aux poètes. J’ai ainsi rencontré un Ferré que je ne connaissais pas. Chose
importante aussi dans la genèse de ce spectacle : je voulais absolument le faire
avec le quartet avec lequel je joue depuis déjà sept ans et avec lequel j’ai
fait une centaine de concerts. Cette formation est assez atypique et inédite et
a un côté chambriste qui, à la fois, se démarque de Ferré et le rappelle.
Christophe Marguet à la batterie, Régis Huby au violon et Jean-Marc Larché au
saxophone composent avec leur talent un petit écrin dont il était hors de
question de se passer.

Y. R. : Ca nous semblait intéressant de faire porter Ferré par des
femmes. Claudia Solal et Jeanne Added sont tout sauf des chanteuses de variété.
Vocalistes incroyables, très ouvertes musicalement et immenses bosseuses, elles
savent s’insérer à la musique, ce qui présente un intérêt énorme : pendant que
l’une chante, l’autre peut être dans l’arrangement, le souffle, le cri, le
bruitage. A l’instar de toutes ces chanteuses qui sont allée chercher d’autres
voix avec leurs voix, elles déploient une richesse incroyable.

Y. R. : Après avoir sélectionné les thèmes, j’ai voulu absolument
préserver l’équilibre entre l’abscons et l’abordable. Il y avait des textes trop
longs, trop difficiles, d’autres sur lesquels la musique ne venait pas. J’ai
recherché l’osmose entre textes et musique, en gardant les mélodies quand les
musiques avaient déjà été écrites, presque à la note près. Moi qui suis très
attaché à la mélodie, au chant, j’ai trouvé chez ce mec qui avait une telle
palette artistique l’occasion d’une rencontre très fructueuse. Ce projet est
avant tout celui d’un musicien : je ne reprends pas Ferré mais je fais se
rencontrer nos univers. Il ne s’agit ni d’un hommage ni d’une nécrologie dévote.
Puisque la vertu principale de la tradition est d’être bousculée, ce spectacle
propose quelque chose d’inédit sur Ferré qui sera peut-être aussi l’occasion
pour certains de découvrir son ?uvre.