Focus -201-Centre Dramatique National des Alpes
Belgitude des rivalités shakespeariennes
Le metteur en scène Yves Beaunesne crée une « version belge » de Roméo et Juliette. Une version bilingue qui oppose des Capulet flamands et des Montaigu wallons…
« Si j’ai choisi de mettre en scène Roméo et Juliette avec une double distribution – flamande et wallonne – c’est pour donner corps au postulat de départ de la pièce de Shakespeare : deux jeunes gens qui naissent dans des familles aisées et rivales. La pièce permet un nombre incalculable d’incarnations de cette hypothèse. La relisant, j’y ai vu le « malheur des Belges », pour reprendre le titre d’un roman du grand écrivain flamand Hugo Claus. Des Capulet du Nord, sans doute de nouveaux riches au bon sens trempé dans un réalisme issu de décennies de lutte pour l’identité flamande ; des Montaigu du Sud empêtrés dans les privilèges d’une vieille aristocratie à la française et adeptes du “non”. Bien que parlant des langues différentes, ces deux « clans » se rejoignent dans une même lutte contre les occupants espagnols, français, hollandais, allemands…
Eternel conflit
Ils vivent aussi un même partage des grands courants spirituels et artistiques qui ont traversé l’histoire de leur pays et que Shakespeare n’aurait pas reniés : l’expressionisme, le surréalisme, le fantastique… Mais ces voisins s’entredéchirent, malgré la meilleure volonté du monde. Même tout petit, mon plat pays natal reproduit l’éternel conflit entre le Nord et le Sud… Et depuis Shakespeare, nous savons que les amours sont décidées au Panthéon par une divinité dotée d’un sens de l’humour… très belge. Je pars donc de ce que je connais intimement, le reste est l’affaire du poète et des comédiens, belges tous, avec un « jeu flamand » pour les uns, un « jeu wallon » pour les autres, les wallons étant les plus germaniques des latins, les flamands les plus bourguignons des européens… »
Propos recueillis par Manuel Piolat Soleymat
Théâtre de la Place à Liège. Le 22 mars 2013. Puis tournée.