Focus -287-Les Gémeaux à Sceaux
Tous des oiseaux de Wajdi Mouawad
Théâtre / Texte et mise en scène Wajdi Mouawad
Critique
Publié le 22 septembre 2020 - N° 287
Wajdi Mouawad reprend la fresque théâtrale éblouissante qu’il a créée au Théâtre de la Colline en 2017, interprétée en anglais, allemand, hébreu et arabe. Servi par de remarquables comédiens, il y explore la question de l’identité, dans une perspective intime et collective, au cœur d’une famille israélienne minée par un secret.
Du très grand art ! Auteur tragique d’aujourd’hui, Wajdi Mouawad met en jeu une crise familiale poignante, où l’intime est empli des violences du monde et d’héritages douloureux. L’ensemble impressionne à la fois par l’écriture pénétrante et vibrante, par la beauté et la précision de la construction formelle, par le jeu absolument éblouissant des comédiens. S’il renoue avec la veine du cycle Le Sang des Promesses, qui explorait les douleurs liées à la guerre civile libanaise – Wajdi Mouawad a quitté le Liban dans l’enfance pour Paris puis le Québec –, l’auteur et metteur en scène part ici à la rencontre d’Israël, pays ennemi. Fondée sur la curiosité de l’expérience de l’autre, l’écriture captive parce qu’elle dépasse le cadre historique pour s’élever et atteindre, au cœur de l’humain, une dimension épique et poétique. La source première de la pièce est la rencontre entre Wajdi Mouawad et l’historienne juive Natalie Zemon Davis, qui a rédigé un ouvrage retraçant la vie de Hassan Ibn Muhamed el Wazzân, historien né à la fin du XVème siècle, capturé par des pirates qui le livre au pape Léon X. Il fut libéré en échange de sa conversion au christianisme. Sous sa plume parut la légende persane de l’oiseau amphibie. Ce récit faisait rêver l’enfant Wajdi Mouawad qui, aujourd’hui, façonne une langue qui questionne la question de l’identité, de la transmission et de la perte. Une langue qui retrace un chemin difficile vers une vérité dévastatrice, où émergent des ramifications qui traversent les générations.
Une vie parsemée de manques
Wajdi Mouawad ausculte le destin d’une famille allemande d’origine israélienne sur laquelle pèse un lourd secret, que le parcours du petit-fils, Eitan, va faire éclater au grand jour. Ses grands-parents israéliens se sont séparés lorsque son père avait quinze ans – Leah est restée en Israël tandis qu’Etgar est parti s’installer à Berlin avec son fils David. Ses parents, David et Norah, vivent à Berlin. A New York, Eitan tombe amoureux d’une jeune fille très belle, Wahida, qui écrit une thèse sur Hassan Ibn Muhamed el Wazzân. L’une des forces de la pièce est qu’aucun personnage n’est caricaturé, malgré une intrigue et des sentiments exacerbés. L’autre atout est l’idée géniale et essentielle de jouer le drame dans la langue des personnages : l’anglais, l’allemand, l’hébreu et l’arabe, ce qui a obligé à travailler de manière inhabituelle, à partir d’une version initiale destinée à être traduite. Les langues s’entrechoquent, résonnent de pertes flagrantes ou secrètes. L’humour acide de la grand-mère est une merveille de défense face au tourment de son âme. La langue de l’enfance et la mère, c’est la même chose, soulignent Lacan et d’autres : un monde de sons et de sensations perdues. Bien qu’articulée au passé, c’est une brûlante écriture du présent qui se révèle, avec des comédiens époustouflants.
Agnès Santi
A propos de l'événement
Tous des oiseaux de Wajdi Mouawaddu vendredi 4 décembre 2020 au dimanche 13 décembre 2020
Théâtre Les Gémeaux - Scène nationale de Sceaux
49 avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux.
Du 4 au 6 et du 10 au 13 décembre.
Du mardi au samedi à 20h45, dimanche à 17h.
Tél. : 01 46 61 36 67.