Projets de territoire et festival
La compagnie poursuit sa résidence culturelle [...]
Focus -314-La compagnie Liria : la liberté en partage
Metteur en scène et comédien, dramaturge et conteur, Simon Pitaqaj a installé la compagnie Liria à Corbeil-Essonnes où il travaille à constituer un répertoire original qui tisse trame humaine et chaîne théâtrale.
Comment êtes-vous arrivé à Corbeil ?
Simon Pitaqaj : Avec Nous, les petits enfants de Tito, en 2017. L’équipe du théâtre de Corbeil cherchait une compagnie qui pouvait travailler avec des jeunes en rupture sociale sur les thèmes qu’abordait cette pièce. La compagnie Liria a donc été accueillie en résidence, assortie d’un soutien à la production et la diffusion. Avec une vingtaine de jeunes, nous avons mêlé récits de vie et fiction, réécriture et mise en scène, et créé Boubakar made in France. Puis, avec des femmes issues de l’immigration, notamment malienne, nous avons commencé un travail sur l’identité, l’origine, la double culture, les enfants perturbateurs, qui a donné Les Mamans courage, un livre et plusieurs représentations. Tout ce travail s’est ensuite développé avec Les Papas sont-ils courageux ? et La Parole rêvée des femmes. Ce projet est né de la demande d’une association qui avait vu Les Mamans courage et voulait rendre hommage à une femme jetée par la fenêtre du quatrième étage par son mari, événement qui avait traumatisé le quartier. Pour interroger la violence faite aux femmes, nous avons récolté leur témoignage au local de l’association Arc-en-ciel du quartier de l’Ermitage. Nous sommes ensuite allés dans un autre quartier, les Tarterêts, avec l’association Falato, jusqu’à organiser des expos photos au théâtre de Corbeil et dans les médiathèques et un spectacle où ces femmes apportent leurs voix et leurs récits avec courage, confiance et dignité.
Comment ces témoignages nourrissent-ils votre création ?
S.P. : J’aime entendre ces voix et aussi la langue qu’elles parlent. Un français cabossé, retors. Ça m’amuse d’en jouer et d’aménager le mélange entre l’écriture et l’oralité. La main écrit et arrive à formuler ce qui est dit à l’oral en le complétant. Il faut ensuite que l’écrit soit audible : cet aller-retour me passionne. Ces femmes, sur scène, donnent sans vouloir donner, dans un présent parfaitement adéquat à l’essence du comédien. C’est à cet endroit que ça me touche.
Ce lien entre oral et écrit nourrit aussi votre attrait pour les mythes…
S.P. : Les légendes et les contes sont traditionnellement racontés et doivent passer par l’écrit pour être dits sur scène. Je m’en inspire comme je le fais des témoignages, pour les rendre à ma manière. Comme si je les dévorais pour mieux les recracher. Ces allers-retours me permettent de trouver ma langue à moi. Le Prince a été construit selon ce principe, sous la forme d’un dialogue entre Arkadi, personnage de L’Adolescent de Dostoïevski, et Moussa, un jeune des Tarterêts. Deux époques, deux continents, deux langues, mais les mêmes problématiques. Ce qui me passionne dans les mythes, c’est la manière dont ils habitent le quotidien. Ca a commencé avec La Vieille Guerre et la naissance du mythe du Kosovo à la bataille du Champ des Merles, en 1389. Il est passionnant de comprendre comment les légendes se créent et comment leurs personnages nous animent encore aujourd’hui. C’est ce que j’ai fait avec Le Pont.
Dans P’tit Jean le Géant, votre dernière création, vous mêlez toutes ces sources…
S.P. : P’tit Jean le Géant est aussi né d’une légende. Ce spectacle interroge la manière dont la fiction réveille l’intime et comment l’intime devient fiction. Comment se débrouille-t-on avec le passé ? Le prend-on comme il est, douloureux, ou lui rend-on sa vitalité pour pouvoir vivre avec ? Le théâtre permet de restaurer le temps et de voir ce qu’on peut faire du passé pour qu’il ne demeure pas statufié. Je viens moi-même d’un passé tragique : que dois-je en faire ? Quand j’ai commencé le théâtre, je ne savais pas que j’allais faire ce voyage passionnant et excitant. La rencontre avec les habitants de Corbeil et surtout avec les femmes m’a beaucoup appris. Sur les femmes, évidemment, mais aussi sur moi-même, sur les clichés virilistes : cela m’a permis d’avance humainement et artistiquement.
Que raconte P’tit Jean le Géant ?
S.P. : Tout part d’une rencontre entre un Kosovar et un Algérien, qui a quitté l’Algérie après la décennie noire pour vivre sans papiers en France. Le Kosovar y est arrivé dans les années 90, comme moi. J’avais envie de jouer avec les clichés. Qui sont ces deux personnes ? qui est Ibrahim ? Un criminel de guerre, un terroriste ou sa victime ? Qui est l’Albanais ? Un mafieux, un mac, un trafiquant et un voleur, comme le voudraient les aprioris ? La pièce se déroule en trois tableaux. Après la rencontre, on plonge dans une espèce de rêve qui nous renvoie vers une légende lointaine et horrible. Ces hommes racontent-ils leur vie ou la légende ? Comment la légende éclaire-t-elle leur identité et les pousse-t-elle à se raconter ? Les femmes de la légende viennent alors hanter le récit en l’accompagnant et on découvre l’identité de chacun. Avec ce spectacle, j’arrive non pas à une conclusion, mais plutôt à l’affermissement d’un champ d’écriture, qui m’amène à réfléchir sur ces êtres humains en transit, ce qu’évoquait déjà Le Prince. Pourquoi sont-ils en transit, pourquoi ne peuvent-ils pas en sortir, combien de temps dure ce transit ? Je ferai une lecture de L’homme transit le 11 novembre et d’autres projets naîtront autour.
Catherine Robert
à 19h30 (relâche le jeudi) ;
représentations scolaires jeudi et vendredi à 14h30. Tél. : 01 43 60 72 81. Théâtre de Corbeil-Essonnes, 22, rue Félicien-Rops, 91100 Corbeil-Essonnes.
Le 8 février à 14h15 et le 9 à 14h15 et 20h30. Tél. : 01 69 22 56 19. Le 11 novembre à 18h, lecture de L’Homme transit au Théâtre Le Colombier.
Théâtre de Corbeil-Essonnes
22, rue Félicien-Rops, 91100 Corbeil-Essonnes
Site : https://liriacompagnie.com