Omar Porras défend un théâtre de recherche attentif à la jeunesse et à l’artisanat du théâtre
Entretien
Publié le 20 août 2023 - N° 313À la tête du TKM Théâtre Kléber-Méleau depuis 2015, Omar Porras présente ses priorités pour la saison à venir : l’attention à la jeunesse, à l’artisanat du théâtre, aux textes forts que la scène réinvente et transmet.
Quelles ambitions vous ont motivé pour élaborer cette saison 2023/2024 ?
Omar Porras : C’est en premier lieu le souci de la jeunesse qui m’a guidé, que j’ai articulé à mon amour des grands textes, de l’artisanat du théâtre. J’ai beaucoup réfléchi à cette jeune génération de comédiens qui a vécu un passage difficile avec le covid. D’une manière générale, et en particulier dans nos métiers, je constate que la jeunesse éprouve des difficultés à se projeter dans l’avenir. Lors d’ateliers réalisés avec des jeunes âgés de 20 à 24 ans, j’ai aussi été frappé par l’instauration d’une forme de distance vis à vis des textes du répertoire. Je défends un théâtre de recherche patiente, comme pourraient le définir Jerzy Grotowski, Eugenio Barba ou Ariane Mnouchkine. Un tel théâtre aujourd’hui tend à se paupériser, et cet éloignement de la métaphore, de la poésie, de la rigueur qu’exige la tradition nous invite à réfléchir et à agir. C’est pourquoi j’ai demandé aux metteurs en scène impliqués dans les deux créations du TKM de travailler avec de tout jeunes comédiens, sortis des écoles en 2019 ou 2020.
Qui sont ces metteurs en scène ?
O.P. : Tous deux aiment et savent transmettre. Je connais bien Laurent Natrella, qui a interprété Scapin dans ma mise en scène, mais aussi le rôle-titre de Pedro et le Commandeur. Avec lui les jeunes comédiennes et comédiens savourent la langue poétique de Musset ou Molière dans une forme de modernité et d’efficacité. C’est ce don de transmission qui m’a donné l’idée de lui confier la création d’un spectacle inaugural qui serait comme un manifeste pour la jeunesse, servi par la connaissance, l’expérience et la rigueur que peut avoir un artiste qui a passé 26 ans à la Comédie-Française. Fantasio de Musset ouvre ainsi la saison avec une très belle équipe qui consacre le théâtre comme endroit de retrouvailles. Ensuite, du 5 au 24 mars, Benjamin Knobil crée L’Oiseau bleu d’après Maeterlinck, avec là aussi une distribution issue des écoles suisses – Les Teintureries, l’École Serge Martin, La Manufacture et l’École Dimitri. Pour ces deux créations, nous avons regroupé 18 jeunes comédiennes et comédiens, ce qui est une belle manière de ne pas céder à la paupérisation du théâtre.
« L’ancienne usine à gaz est aujourd’hui une usine à rêves. »
Que signifie pour vous l’artisanat au théâtre ?
O.P. : L’artisanat théâtral est relié à une grande diversité de savoir-faire, de compétences, de mémoires. Nous considérons que c’est l’une des missions du TKM de le perpétuer, notamment grâce à nos deux productions annuelles. Des métiers tels que perruquier, menuisier, tapissier, serrurier et bien d’autres sont en train de disparaître des théâtres. C’est pourquoi je souhaite associer la maison à des metteurs en scène attentifs à toutes ces textures et matières, à ces manières de faire. Cela peut paraître banal, mais ça ne l’est pas. Je pense à une jeune comédienne qui après cinq ans de travail m’a confié que c’était la première fois qu’elle interprétait un rôle avec une vraie perruque, un vrai maquillage, de vrais accessoires, un vrai costume… Dans cet esprit, je vais au cours de la saison proposer une ou deux grandes master-classes dédiées au jeu masqué.
Comment se profile l’avenir alors que le quartier est en pleine transformation ?
O.P. : Nous craignions que ces grands travaux de construction de bureaux, habitations et écoles ne découragent les spectateurs, mais l’engouement du public s’est au contraire confirmé. Emblème du patrimoine architectural, le théâtre va aussi bénéficier de travaux tout en gardant son âme. Véritable repère culturel de l’Ouest lausannois, le théâtre préserve son atmosphère conviviale et sa forte relation au public. Peter Brook appréciait beaucoup le lieu, à taille humaine et très chaleureux. Nous avons façonné une identité artistique exigeante, qui fédère les communes alentour. En outre, et cela aussi est un facteur de fidélisation et de confiance, nous tenons à programmer de longues séries de représentations, afin de laisser le temps au spectacle d’être découvert et de s’épanouir. L’ancienne usine à gaz est aujourd’hui une usine à rêves, une maison partagée, régionale et universelle.
Propos recueillis par Agnès Santi
A propos de l'événement
TKM - Théâtre Kléber-MéleauChemin de l’Usine à Gaz 9, 1020 Renens-Malley, Suisse.
Spectacles du mardi au jeudi à 19h, vendredi à 20h, samedi et dimanche à 17h30.
Tél : +41 (0)21 625 84 29.