Création et transmission
Le directeur du Théâtre du Nord et de l’EpsAd [...]
Irène Bonnaud, artiste associée au Théâtre du Nord, fait dialoguer Eschyle et la modernité, par l’intermédiaire de la romancière Violaine Schwartz, autour du droit et du devoir d’asile.
Pourquoi avoir retraduit Les Suppliantes, et surtout son titre ?
Irène Bonnaud : IKETIDES, dit le titre grec, ce qui veut dire « celles qui sont venues de loin demander l’asile ». Les Suppliantes, titre traditionnel en français, n’a pas de rapport avec l’étymologie, qui ne suggère pas de déploration. En toute rigueur, la pièce devrait s’appeler Les Demandeuses d’asile, sauf que ce n’est pas très joli… J’ai préféré Les Exilées : celles qui ont tout lâché, tout perdu et qui sont loin de leur terre de départ.
Pourquoi choisir de tuiler texte antique et récits modernes ?
I. B. : Eschyle, qui a vu naître la démocratie, qui a été soutenu par Périclès, fait d’Argos le miroir d’Athènes. Les tragédies grecques sont des textes composites où intervient la vie politique de l’époque. Cela connu, et puisque la pièce nous est parvenue à l’état fragmentaire, nous avons composé un montage entre le texte d’Eschyle et des textes contemporains, avec la volonté d’exhiber le collage, et, évidemment, la distance abyssale entre le rituel antique de l’asile et la démocratie naissante et ce qu’ils sont devenus dans l’Union européenne aujourd’hui. Violaine Schwartz a écrit en s’appuyant sur des matériaux documentaires. Notre souci est d’être au plus près de la réalité.
Vous utilisez aussi d’autres textes d’Eschyle. Pourquoi ?
I. B. : Il y a notamment la scène de la prophétie à Io, dans Prométhée enchaîné. C’est à cause de cette prophétie que le spectacle s’intitule Retour à Argos. Les exilées sont de petites princesses africaines qu’on veut marier de force à leurs cousins. Elles fuient l’Egypte avec leur père, arrivent à traverserla Méditerranée sans se noyer et accostent à Argos. Or Argos est l’endroit d’où est partie leur aïeule, Io. L’humanité est une, suggère Eschyle. Les exilées sont d’Argos, autant que le roi qui se déclare argien de souche. Quelles que soient les conséquences de leur accueil par la cité (la guerre, la division interne), elles doivent être protégées, sinon, on fâche Zeus, le protecteur des étrangers, des vagabonds et des demandeurs d’asile. La honte montera jusqu’au ciel si tu n’accueilles pas celui qui le demande, dit le texte.
Pourquoi rappeler cette parole aujourd’hui ?
I. B. : Entendre cette parole-là, personnellement, c’est comme si ça me lavait. Justement de la honte face à la politique européenne de contrôle des flux migratoires, dont on peut dire qu’elle a atteint le fond… Le texte d’Eschyle fait figure de source et permet de mesurer d’où on vient et où on va. Tel est le cœur du projet : mettre en parallèle ce texte, qui dit le référent absolu du droit, et la situation actuelle. C’est aussi pour ça que la pièce s’appelle Retour à Argos !
Propos recueillis par Catherine Robert
Le directeur du Théâtre du Nord et de l’EpsAd [...]