LES BEAUTES DE LA CULTURE ISLAMIQUE
Pique, cœur, carreau, trèfle. Le metteur en [...]
Focus -201-ODEON / THEATRE DE L’EUROPE
Peter Stein met en scène à la demande de Luc Bondy l’une des dernières pièces de Labiche, Le Prix Martin, avec des acteurs français. Une pièce « à la construction géniale », explorant entre folie douce et drôlerie grinçante les domaines de la fidélité et de la sexualité.
Peter Stein
C’est un maître de théâtre en Europe, l’un de ceux qui marquent leur temps, qui imprègnent la mémoire des spectateurs. Né à Berlin en 1937, vivant aujourd’hui en Italie, Peter Stein a révolutionné le théâtre allemand, il a dirigé la Schaubühne de Berlin de 1970 à 1986, où il a su mettre en œuvre un théâtre véritablement collectif de très haut niveau, où l’autogestion a permis une totale indépendance. L’Orestie d’Eschyle (1980), Les Trois Sœurs de Tchekhov (1988), Le Parc de Botho Strauss (1985), etc. : il a créé plusieurs mises en scène phares qui ont fait date. Peter Stein a ce talent impressionnant de savoir créer et construire une transposition scénique des textes, une transposition où l’art de l’acteur atteint des sommets et où celui de la mise en scène déploie une formidable imagination. Après avoir présenté I Demoni au théâtre de l’Odéon en 2010, monument théâtral de douze heures adapté du roman visionnaire de Dostoïevski, – une rare expérience collective –, Peter Stein revient à la demande de son ami Luc Bondy pour mettre en scène Le Prix Martin (1876) d’Eugène Labiche (1815-1888). En 1973, il avait mis en scène à la Schaubühne avec l’aide de Jean Jourdheuil La Cagnotte dans une version signée Botho Strauss, qui avait obtenu un grand succès. Des bourgeois de province venus profiter des innombrables possibilités qu’offre la vie parisienne s’y trouvent entraînés dans une course poursuite et une descente aux enfers. « Au départ, j’avais des doutes sur Le Prix Martin, l’une des dernières pièces de Labiche. Je trouvais la pièce un peu légère, mais en fin de compte sa construction générale est absolument géniale. Les dialogues sérieux regorgent de trouvailles, de merveilles d’humour et d’intelligence. Deux très vieux amis mettent en lumière ce que sont la fidélité et la vie sexuelle, alors que moi, je n’en ai pas la moindre idée ! Je suis l’exécuteur ou l’interprète de leur dialogue, de leur jeu. C’est un exercice très stimulant. Et lorsque j’ai appris que Flaubert était un grand admirateur de cette pièce, cela a totalement conforté le choix de la monter! »
« Sublime horreur » des Alpes suisses
Dans la scène inaugurale, Ferdinand Martin et Agénor Montgommier, deux vieux amis, jouent comme toujours au bésigue, jeu de cartes couramment pratiqué au xixe siècle : « nous tuons agréablement trois heures par jour, l’un dans l’autre. » L’un est marié, l’autre non, mais il a pour maîtresse… Loïsa Martin, l’épouse de son ami, et commence à se lasser d’elle et de son enthousiasme. Auteur virtuose d’un théâtre du mouvement qui a l’art de s’emballer à pleine vitesse, Labiche fait décoller l’intrigue jusqu’à la « sublime horreur » des Alpes suisses, et Loïsa finira même par fuir dans une contrée lointaine, dans les jungles du Nouveau Monde. Cocasse et burlesque, mais aussi lucide et corrosif, Labiche est un expert des dérèglements du comportement, jusqu’à l’absurde, car les événements successifs et les rebondissements créent les situations les plus extravagantes. Le Prix Martin désigne le prix que fonde Ferdinand Martin pour distinguer « l’auteur du meilleur mémoire sur l’infamie qu’il y a à détourner la femme de son meilleur ami… », et vise à faire cesser le chaos du cocufiage. Les didascalies décrivent comme à l’accoutumée un intérieur bourgeoisement meublé, puis le salon d’un hôtel à Chamonix, et dans l’acte III un chalet à la Handeck. « Cette pièce pose aussi pour moi le problème de sa scénographie, car une pièce de ce genre n’a pas besoin de scénographie ! » souligne Peter Stein.
Le meilleur de l’acteur
Le metteur en scène crée la pièce en français, avec Jacques Weber, Christine Citti, Jean-Damien Barbin, Pedro Casablanc… et travaille en profondeur le texte, collectivement, avec les acteurs. « Aborder la pièce par la tradition de la Comédie-Française n’est pour moi pas possible. J’ai dit à tous les acteurs qu’il fallait commencer par la méthode Stanislavski, comme lorsqu’on porte à la scène une œuvre de Tchekhov, et après il faut voir ce qui peut ressortir de ce travail. » Un travail patient, artisanal, éminemment professionnel, qui vise à mettre à jour le meilleur de l’acteur. « C’est très émouvant pour moi de mettre en scène cette pièce en français, j’ai vécu en zone française à Berlin, et le français était ma première langue. Lorsque je crée une pièce, j’ai peur de décevoir les attentes et les imaginaires. Un artiste doit toujours avoir ce sentiment-là ! » Eschyle, Tchekhov, Kleist, Goethe, Botho Strauss… et Labiche. « Je suis un homme tragique, et je mets en scène une comédie française ! » Singulière contradiction…
Agnès Santi
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