La Terrasse

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Focus -297-Bernard Cavanna, Concertos et Bagatelles

L’art, une aventure humaine vers l’inattendu, rencontre avec Bernard Cavanna et Noëmi Schindler

L’art, une aventure humaine vers l’inattendu, rencontre avec Bernard Cavanna et Noëmi Schindler - Critique sortie
Légende : Bernard Cavanna © Sophie Steinberger Légende : Noémi Schindler © Thibault Jeanson

Publié le 17 février 2022 - N° 297

Dans l’enregistrement que va faire paraître l’empreinte digitale en avril, Noëmi Schindler interprète les deux concertos pour violon que Bernard Cavanna lui a écrits. Tous deux nous invitent au cœur de leur atelier de création complice.

Le disque s’ouvre sur l’enregistrement d’une nouvelle pièce, Scordatura, créée en 2019 au T2G de Gennevilliers. Comment est-elle née ?

Bernard Cavanna : Longtemps j’ai souhaité revenir à cette forme, qui au fond théâtralise davantage le concert, pour surtout collaborer à nouveau avec Noëmi et la « mettre en scène » avec cette pièce, Scordatura, qui fait appel à quatre violons accordés différemment, avec des accords (scordature) bien inhabituels et déstabilisants !

Comment se fait la collaboration entre vous, le compositeur et l’interprète, dans le processus d’écriture ?

B.C. : Elle était encore plus nécessaire avec ce projet car nous allions devoir explorer ensemble les différents espaces qu’offrent ces nouveaux accords. Il nous a fallu d’abord les chercher, les définir, mesurer l’impact sur la lutherie ― ce qui nous a amenés à collaborer avec un luthier, Antoine Laulhère ― et puis, surtout, se les approprier, car tous les repères violonistiques étaient bouleversés. Ensuite j’ai pu commencer à lui proposer quelques éléments.

Noëmi Schindler : À partir de ces propositions, j’ai découvert un tout autre violon, d’autres manières d’évoluer sur cet instrument, ouvrant des espaces inouïs, des cordes qui résonnent en sympathie.

« Je suis très sensible à la porosité entre réel et imaginaire. »

Bernard Cavanna

« Créer un son qui puisse toucher, passer la rampe ! »

Noëmi Schindler

B.C. : La conception d’une pièce ne passe pas chez moi par un processus formel. Je me nourris aussi des propositions de l’interprète, de son histoire, de la relation que j’ai avec lui et souvent, dans mon travail, il s’agit au préalable d’une histoire de gestes, de situations, d’espaces et non de notes ; elles viennent après.

Dans le troisième mouvement, vous évoquez l’air de la chanson de Mayol, La Matchiche. Comment vous en est venue l’idée ?

B.C. : C’est une petite boîte à musique que Noëmi a gardée de son enfance qui m’a inspiré, où un petit pierrot danse sur l’air de La Matchiche. Les notes de la mélodie sont reprises et désincarnées tout d’abord par l’orchestre, puis, à la fin, par le quart de violon, lui-même doté d’une scordature spécifique.

N.S. : Ce qui est incroyable, c’est comment, d’un élément naïf ou anodin, naît une complexité insoupçonnée. Avec son art de l’orchestration aux couleurs si spécifiques, son goût subtil de l’harmonie, Bernard ouvre un monde personnel, pour inviter à un voyage inattendu. C’est là que l’art commence, quand il nous livre ce regard philosophique, tellement humain, traduit en musique.

Votre musique s’appuie souvent sur la mémoire.

B.C. : Oui. Par exemple Karl Koop Konzert se nourrit du souvenir de l’un de mes grands-pères qui, à 17 ans, avait fait la guerre de 14. Je suis très sensible à la porosité entre réel et imaginaire que l’on trouve très bien chez Fellini, notamment dans Fellini Roma, où des motifs carnavalesques, ridicules, alternent avec d’autres plus tragiques et réels.

Porosité également entre finesse et trivialité, qu’illustrent aussi les Geek bagatelles

B.C. : J’ai grandi dans un milieu populaire, où il n’y avait pas toujours de place pour le raffinement, l’empathie, ce qui se traduit par des émotions que je qualifierais de « boueuses ». Ce que l’on peut rapprocher de Francis Bacon, Otto Dix ou George Grosz, et qui peut se traduire dans ce que je propose par une confrontation entre instruments bruts et populaires et instruments plus dévolus au grand répertoire, entre sons tonitruants et motifs plus délicats. Dans ma pièce À l’agité du bocal, d’après Céline, l’ensemble comprend entre autres une trompe de chasse, deux cornemuses, une perceuse à percussion ! J’ai été moins extrême dans Scordatura, avec une seule cornemuse dans les deuxième et troisième mouvements, sur laquelle tentent d’exister dans leur fragilité la mandoline et le quart de violon.

Quel est votre rapport à la forme ?

B.C. : La forme naît petit à petit des situations et des confrontations que l’on met en place, de différentes spéculations plus ou moins empiriques. On peut s’appuyer préalablement sur un scénario, mais à l’instar du même Fellini qui aimait réaliser ses films sans avoir la totalité de la narration en poche, j’aime plutôt me laisser surprendre par les éléments qui s’installent peu à peu, questionner en me laissant aller à l’inconnu.

Les interprètes sont-ils alors des acteurs ?

N.S. : Instrumentistes et acteurs font le même métier : chercher comment créer un son qui puisse toucher, passer la rampe ! C’est quelque chose que je sens intimement dans mon corps lorsque je joue. Contrairement à l’idée selon laquelle l’interprète doit s’effacer derrière l’œuvre qu’il sert, je crois au contraire qu’il doit être très présent pour être au plus près de la pensée du compositeur.

 

Propos recueillis par Jean-Guillaume Lebrun et Gilles Charlassier

A propos de l'événement



Bernard Cavanna
du mardi 5 avril 2022 au mardi 5 avril 2022
Théâtre du Gymnase
38 boulevard Bonne Nouvelle, 75010 Paris

à 20 h.

Tél : 01 42 46 79 79.

Entrée libre sur réservation.

Également Geek bagatelles à Liège avec l'Orchestre philharmonique royal les 15 et 17 mars 2022 et le 17 juin 2022 à la Maison des Arts de Créteil avec l'ensemble 2e2m ; Messe un jour ordinaire à la Cité musicale, Metz, le 28 mai 2022.

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