L’art du grand écart : Fériel Bakouri poursuit son chemin aventureux entre radicalité et projets populaires

Quels sont les principaux événements qui vont ponctuer la saison 2023/2024 de Points Communs ?

Fériel Bakouri : En dehors des rendez-vous artistiques, l’un des événements importants de cette saison est l’ouverture, au sein du Théâtre 95, d’un grand restaurant qui sera un nouveau cœur battant relationnel et artistique. Au-delà de sa fonction de restauration, le Café de la Plage aura pour vocation d’accueillir l’émergence musicale locale, grâce à des collaborations avec l’EMB Sannois et le Forum de Vauréal, deux scènes de musiques actuelles. Cette porte ouverte sur le territoire et ses habitants permettra, nous l’espérons, de créer de nouvelles possibilités de venues et de découvertes pour les populations de notre département. Par ailleurs, depuis un an, à l’occasion des Jeux Olympiques et Paralympiques Paris 2024, notre scène nationale coordonne un groupe de dix acteurs culturels du Val d’Oise qui ont décidé d’unir leurs forces et leurs savoir-faire dans un projet commun intitulé L’Art du collectif.

En quoi consiste ce projet ?

F.B. : Nous avons tous ensemble établi une feuille de route commune autour des valeurs des J.O. — le respect des différences, l’humanisme, la solidarité… — afin de mettre en place une programmation collective centrée sur le thème « Art et Sport ». Ce projet, qui comprend au total 33 propositions, dans 27 villes et 13 quartiers défavorisés, va irriguer toute la saison 2023/2024 de Points Communs, notamment lors de Génération(s), nos temps forts dédiés à la jeunesse. Cette façon de travailler en réseau, de partager nos expertises artistiques, est extrêmement enrichissante. Nous souhaitons toutes et tous que cette coopération s’inscrive dans la durée en se prolongeant au-delà des J.O.

Quels sont les engagements envers les publics et les artistes que cette nouvelle saison vous permet de réaffirmer ?

F.B. : Plus que jamais, cette saison répond à ce que j’appelle la théorie du grand écart. Nous accueillons à la fois des artistes considérés comme pointus, comme rares, que des artistes très populaires. Cette ligne de tension me paraît importante à mettre en œuvre. Elle s’exprime par exemple, en ce qui concerne les propositions grand public, par les projets « Arts et Sport » dont je viens de parler, par la venue de la compagnie de cirque Les 7 doigts de la main (ndlr, Duel Reality, du 8 au 11 novembre), ou par l’accueil d’une artiste comme Laura Felpin (nldr, Ça passe, les 23 et 24 novembre), qui vient du monde de l’humour, mais dont l’univers comporte une vraie dimension théâtrale.

« Notre scène nationale fait le pari audacieux d’être à la fois une maison ouverte, exigeante et inclusive. »

Et puis, de l’autre côté, il y a le Festival Arts et Humanités (nldr, du 7 au 16 mars), qui met en avant des artistes quasiment inconnus en France, comme Keyvan Sarreshteh qui vient d’Iran, Jeremy Nedd qui vient de Suisse, Mallika Taneja qui vient d’Inde… Ce sont des artistes du champ de la performance, qui portent des regards et expriment des propos sur nos sociétés d’une grande radicalité. Notre scène nationale fait le pari audacieux d’être à la fois une maison ouverte, exigeante et inclusive.

Cette volonté de nouer, par le biais de propositions diverses, des relations fortes avec les habitantes et les habitants du Val d’Oise passe aussi par un travail assidu en direction de la jeunesse…

F.B. : Exactement. Nos trois temps forts Génération(s) — en novembre, janvier et avril prochains — sont des moments privilégiés durant lesquels nous dialoguons avec la jeunesse en investissant ses questionnements, ses joies, ses passions… Bien sûr, ces odes aux jeunes générations sont ouvertes aux autres spectatrices et spectateurs, quel que soit leur âge. Ces rendez-vous sont des moments de partage intergénérationnel, auxquels participeront notamment cette année Ahmed Madani, avec son spectacle Incandescences et son projet participatif au long cours Nous sommes vous (ndlr, voir article ci-après), le Collectif Pokemon Crew (De la rue aux Jeux Olympiques, les 24 et 25 novembre), Rébecca Chaillon (Plutôt vomir que faillir, les 24 et 25 janvier) ou la compagnie d’électro hip-hop MazelFreten (Memento, les 26 et 27 janvier). Comme l’ensemble de la programmation, les temps forts Génération(s) ont l’ambition de brasser toutes sortes d’esthétiques, de genres, de sujets.

Ces brassages amènent-ils vos publics à se diversifier ?

F.B. : Oui et nous en sommes très heureux. La moitié des spectatrices et spectateurs de Points Communs a moins de 30 ans. Je crois que ce chiffre raconte quelque chose. Quant aux publics qui viennent du champ social, que nous allons chercher, par exemple, dans les maisons de quartier, ils représentent 11 % de notre fréquentation. Les actions que nous menons à l’intérieur et à l’extérieur de nos murs, depuis des années, portent leurs fruits. La diversité est là. Malgré la crise du Covid, nos publics sont de plus en plus larges et de plus en plus curieux. Nous sommes très fiers de cette confiance qui s’instaure et qui amène nos spectatrices et spectateurs, saison après saison, à prendre des risques, à mettre leurs appréhensions et leurs aprioris de côté, à donner libre cours à leur esprit de découverte.

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat