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Focus -282-Malandain Ballet Biarritz

La beauté comme réponse à la difficulté d’être, rencontre avec Thierry Malandain

La beauté comme réponse à la difficulté d’être, rencontre avec Thierry Malandain - Critique sortie Danse Biarritz
© Olivier Houeix

Entretien / Thierry Malandain

Publié le 24 novembre 2019 - N° 282

A l’initiative de l’Opéra de Bonn, Thierry Malandain crée à Chaillot La Pastorale. Après Les Créatures (2003) et le solo Silhouette (2012), un retour à Beethoven en forme de méditation contemporaine.

Dans quelles circonstances cette création a-t-elle été conçue ? 

Thierry Malandain : C’est dans le cadre du 250e anniversaire de la naissance de Beethoven qu’est née cette création, commandée par l’Opéra de Bonn, ville natale du compositeur. L’enjeu initial fut le choix de la partition, qui a nécessité de combiner plusieurs œuvres, car hormis quelques messes et symphonies et Les Créatures de Prométhée, unique ballet de Beethoven sur lequel j’ai déjà chorégraphié, aucune ne dure plus d’une heure. Je voulais au départ créer sur la 7e Symphonie, que Wagner considérait comme un hommage à la danse, mais j’y ai renoncé parce que ce que j’imaginais aurait mobilisé une compagnie de 40 danseurs afin de tenir physiquement le rythme. J’ai donc opté pour la 6e Symphonie, décrite par Beethoven à l’attention de son éditeur comme « Symphonie Pastorale, ou Souvenir de la vie rustique, plutôt émotion exprimée que peinture descriptive. » Complétée par des extraits des Ruines d’Athènes et par la Cantate op. 112, intitulée Mer calme et Heureux voyage, elle s’est avérée très inspirante.

« La musique m’a inspiré un cheminement initiatique centré sur un Compagnon errant. »

En quoi vous a–t-elle inspiré ?

T.M. : Elle m’a inspiré un cheminement initiatique centré sur un Compagnon errant, héros romantique qui se confronte à la douleur, mais aussi au désir infini de beauté, d’idéal. Le personnage central, dansé par Hugo Layer, traverse plusieurs étapes. Il est d’abord prisonnier d’une vie étriquée, réglée par une multitude de contraintes. Quatre guides spirituels s’incarnent, l’entourent et l’accompagnent ; ils souffrent de mille choses, et surtout d’absence de liberté. Puis l’espace s’ouvre, le rêve et la beauté font irruption. Enfin, lorsque la mort le saisit, il retrouve en esprit ses quatre guides. Peut-être alors la mort apparaît-elle comme une aspiration. La Pastorale, qui peut recouvrir plusieurs sens – du théâtre traditionnel basque au genre littéraire ou à la veine musicale -, m’évoque au cœur du spectacle un microcosme idyllique à la manière de l’Arcadie antique.

Comment l’Antiquité imprègne-t-elle l’écriture chorégraphique ?

T.M. : Il y a longtemps que je voulais aborder l’Antiquité dans un spectacle. L’écriture invoque l’Antiquité grecque comme espace imaginaire de beauté. Dans diverses époques troublées, l’Antiquité a régulièrement constitué un point de référence, une source d’inspiration liée à l’idée de perfection artistique. Cela se traduit par exemple sous le Premier Empire par le néo-classicisme, par des ballets inspirés par les grands mythes de l’Antiquité. Plus tard Isadora Duncan puis Serge Lifar puisèrent aussi à cette source, et la matière chorégraphique du spectacle se réfère par certains aspects à ces années 1920. Quoiqu’intemporels, les costumes, qui se transforment au fil du spectacle, suggèrent certaines références à l’iconographie de l’Antiquité. Dans les Ruines d’Athènes (1811), œuvre de circonstance commandée à Beethoven et évoquant la libération de Vienne du joug ottoman, fut à cette même période du début du XXe siècle reprise par Richard Strauss avec certains passages des Créatures de Prométhée, et un nouveau livret commandé à Hugo von Hofmannsthal qui célèbre l’Antiquité, ce qui prolonge mon idée de départ. J’aime beaucoup cette musique à la composition extraordinaire.

« Pendant le temps de la représentation, la beauté sauve le monde ! »

Quelle scénographie utilisez-vous ?

T.M. : Outre les contrastes exprimés par la danse, les costumes et les lumières, je me suis inspiré du carré Sator, carré magique contenant un palindrome latin, dont le plus ancien exemplaire a été retrouvé dans les ruines de Pompéi et date d’avant l’an 79. Son interprétation demeure une énigme. J’ai donc quadrillé l’espace en une série de carrés délimités par des tubes semblables à des barres de danse, avec, au centre, la figure de l’homme. Il s’y trouve physiquement enfermé et spirituellement annihilé, comme dans un laboratoire, dans des cages d’expérimentation qui l’assujettissent. Cet état contraste fortement avec l’harmonie d’une Arcadie rêvée…

Ce n’est donc pas la nature qui est au cœur de votre Pastorale…

T.M. : Si la musique de la Pastorale traduit une rêverie et un hymne ardent à la nature, je n’ai pas souhaité à l’heure de l’urgence écologique réaliser un spectacle destiné à éclairer cette urgence. Sur l’état du monde les informations nous alertent suffisamment et en direct. Bien sûr, l’artiste peut se donner pour mission de bousculer les esprits, de faire réfléchir, mais il me semble que cet objectif doit être transcendé par l’art. En quête de sens, de beauté, la danse que je crée vise à emporter vers des espaces autres, dans un ailleurs qui échappe à la réalité et qui échappe au temps. Dans la mesure du possible, je tends à la beauté dans mes créations, comme une réponse à la difficulté d’être. Pendant le temps de la représentation, la beauté sauve le monde ! Pour moi, c’est le sens de l’art. Ce n’est pas son unique sens, mais c’est son sens absolu.

 

Propos recueillis par Agnès Santi

A propos de l'événement



Tél : 05 59 24 67 19.

Site : malandainballet.com

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