Françoise Spiess, directrice artistique du Festival 20scènes
Enseignante, universitaire et metteur en [...]
Plutôt que d’embrasser la totalité de son ?uvre, l’auteur et metteur en scène
Joël Jouanneau préfère mettre l’accent sur ses cinq textes pour enfants et se
fait un plaisir de rencontrer les jeunes spectateurs autour des lectures de ses
pièces.
Différenciez-vous l’écriture pour enfants de l’écriture en général ?
Joël Jouanneau : Quand on écrit pour les enfants, on se sent porteur
d’une responsabilité : on ne peut guère les désespérer de continuer à vivre leur
aventure humaine. Après avoir soutenu une représentation durant une heure, les
jeunes spectateurs doivent non seulement avoir le désir de tenir encore debout
mais être davantage armés pour le faire. Je ne me sens pas du tout responsable
de cette nécessité « morale » pour les autres pièces, ce qui ne veut pas dire
que le happy end soit obligatoire pour les textes jeune public ; c’est
sur l’ensemble de la pièce que le message doit se lire. Je pense que je
travaille plus encore la musicalité et le traitement des voyelles quand je
m’adresse aux enfants. À titre personnel, je dirais que ces pièces sont mes
préférées. Sur les quatorze pièces qui font mon ?uvre, je pense que L’Éblouie
et Le Marin d’eau douce sont mes meilleurs textes. Je n?ai pas d’?il
extérieur qui me regarde quand j’écris pour l’enfance ; avec les adultes, je
sais le regard qu’ils auront. Avec les enfants, je crois encore à une innocence
absolue, je ne suis que dans cette relation de proximité.
Pourquoi L’Éblouie et Le Marin d’eau douce sont-elles des
pièces qui vous tiennent à c’ur ?
J. J. : Je crois que dans les deux pièces, est présent un personnage clé
de mon enfance et de mon intimité, un enfant qui représenterait ce qu’on peut
appeler un premier amour, qui n?est plus là et qui a quitté le monde dans des
conditions douloureuses. Une presque s’ur qui se tient auprès de moi. J’avais
sept ans à l’époque, et c’était la première fois que je quittais la maison,
cette ferme non loin de Pré-en-Pail d’où est originaire le héros du Marin
d’eau douce. J’ai séjourné en Auvergne pour des raisons de santé, et c’est
là-bas que j’ai rencontré cette enfant qui s’est noyée. Fort de cette mémoire
affective et du fait qu’on réinvente sans cesse son enfance, j’ai transformé peu
à peu ce souvenir en une sorte de conte noir. Cette figure est devenue une muse
que l’on rencontre pareillement dans les deux pièces, L’Éblouie et Le
Marin d’eau douce. Cette dernière création est une histoire d’amour
entre un frère et une presque s’ur, c’est aussi le récit d’un enfant qui
s’ennuie ; il quitte Pré-en-Pail pour voir la mer et il a oublié ses papiers,
une référence aux sans-papiers.
« Quand on écrit pour les enfants, on se sent porteur d’une
responsabilité. »
C’est l’équipe des acteurs du Marin d’eau douce qui lit les autres
pièces.
J. J. : Fabrice Bénard, Nicolas Chupin, Camille Garcia, Delphine Lamand
et Bryan Pollack sont d’anciens élèves du Conservatoire qui ont déjà participé à
mes spectacles. J’ai eu cette chance d’avoir rencontré Camille Garcia pour
laquelle j’ai écrit Le Marin d’eau douce. C’est une comédienne
d’exception qui, après une maladie à l’âge de neuf ans, n?a pas eu de croissance
et a conservé sa voix d’enfant. Grâce à elle, les jeunes s’identifient au
personnage central. C’est une difficulté pour moi de représenter sur le plateau
un enfant qui ne soit pas un enfant. Voilà pourquoi je n?ai pas écrit de tels
rôles dans Mamie Ouate en Papôasie. J’ai aujourd’hui cette possibilité de
représentation. Ma dernière pièce, Dernier Caprice, est aussi une
pièce pour enfants. Et j’invite à Vincennes le poète Jacques Rebotier pour
lequel j’ai écrit un livret d’opéra pour enfants et qui fera une lecture-concert.
Propos recueillis par Véronique Hotte
Enseignante, universitaire et metteur en [...]