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Géraldine Laurent : pionnière du sax

Inlassable improvisatrice rompue aux standards, Géraldine Laurent a développé un tempérament sur le saxophone, allié à une urgence à jouer, qui en font l’une des musiciennes les plus sollicitées de l’Hexagone.
Désignée « Artiste de l’année » par les Victoires du jazz en 2023, Géraldine Laurent n’est pas du genre à se tresser des lauriers. En ce moment, confie-t-elle, « [elle] essaie d’avancer sur le travail de l’improvisation ». À 48 ans, la saxophoniste affiche une humilité qui, pour qui la connait un peu, n’a rien de feinte. Chez elle, la musique a toujours relevé d’une forme de nécessité, d’impératif à jouer. Elle n’aime pas tellement s’en expliquer, préfère l’action au bla-bla, l’exercice instrumental et l’interaction avec les musiciens aux concepts et à la dissertation. Pionnière, à certains égards, avec Sophie Alour et quelques autres musiciennes, de la féminisation du jazz en France, en s’imposant, au début des années 2000, sur un instrument — le saxophone alto — qui fut longtemps un domaine exclusivement masculin, elle a toujours considéré que la reconnaissance de son talent ne serait pleinement satisfaisante que si elle pouvait rivaliser sur l’instrument avec ses confrères dans le feu de l’action et si elle parvenait à maîtriser la tradition de cette musique, qu’elle a découverte adolescente, dans sa ville natale de Niort, sur le bout des doigts.
L’interplay en ligne de mire
Depuis, son cheminement a été un constant aller-retour entre la célébration des grands maîtres du saxophone, des plus fameux au plus oubliés, l’interprétation des standards et l’écriture de ses propres compositions avec, systématiquement en ligne de mire, le moment de l’improvisation et l’interplay avec les autres musiciens comme pinacles. Elle joue de l’alto, animée par la même fougue qui semblait traverser ses ainés Jackie McLean ou Eric Dolphy. Du Time Out, trio avec lequel elle se fit largement connaitre dans les années 2000, à son plus récent Cooking Quartet, avec lequel elle a enregistré son dernier album en date, les noms de ses groupes soulignent ce désir de porter le jeu à intensité et de faire chauffer la musique pour la rendre plus vive. « J’adore jouer les standards, garder les formes et créer quelque chose avec ça », assume-t-elle à contre-courant d’une époque qui a érigé la composition en valeur cardinale. Elle vient d’ailleurs de mettre en route un duo avec le pianiste Paul Lay, qui a fait ses débuts l’été dernier au festival Jazz in Marciac, dont le répertoire est totalement consacré à la musique d’Antonio Carlos Jobim, sans tropicalisme. En parallèle, elle ressuscite un trio constitué en 2013 avec le guitariste Manu Codjia et le batteur Christophe Marguet en forme d’hommage distancé à Charlie Parker. Renforcé par le baryton de Jean-Charles Richard, ce « Looking for Parker » s’apprête à muter en « Looking for Mingus » et à relever le même défi de jouer la musique du maitre sans se référer aux instrumentations dont il était familier. Du grand contrebassiste, elle dit aimer l’investissement politique, des thèmes qui lui ont toujours parlé, l’enracinement dans le blues, le côté à l’ancienne, le sens du casting et les échappées free qui cohabitent avec les influences classiques : « Au fond, mon idée a toujours été de reprendre du répertoire et de le recommuniquer au public d’une autre façon. »
Girl Power et Sax Summit
La Philharmonie de Paris l’avait ainsi choisie en 2021 pour rendre hommage à Sonny Rollins. Auparavant, le batteur Aldo Romano avait fait appel à elle pour saluer le souvenir de Don Cherry. L’arrangeur Christophe Dal Sasso l’a fait se glisser dans la musique de John Coltrane. Plébiscitée par de nombreux musiciens de l’Hexagone, Géraldine Laurent ne manque pas de sollicitations. Elle a fait, pendant plus de dix ans, partie intégrante du Lady All-Stars de l’organiste Rhoda Scott et prend désormais part au nouveau Solaxis de sa consœur Lisa Cat-Berro, autre groupe au message « girl power » assumé dans lequel elle partage la scène avec quatre consœurs saxophonistes. Membre du Shabda Sextet du contrebassiste Yves Rousseau qui fait aussi la part belle aux saxophones (ils sont trois sur six), elle vient également de participer à l’enregistrement de « Arsis Thesis », nouveau projet très attendu du Jus de Bocse du trompettiste Médéric Collignon dans lequel elle fricote des anches avec Pierrick Pedron et Christophe Monniot… Sax à droite, sax à gauche, sax tout droit, Géraldine Laurent, si elle en avait encore le moindre doute, a bel et bien gagné sa place au panthéon du sax hexagonal.
Vincent Bessières