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"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -303-Points Communs : quand une scène nationale réinvente son identité et les liens qui l’unissent aux habitants

Fériel Bakouri revient sur les transformations qui confèrent une nouvelle unité au Théâtre des Louvrais et au Théâtre 95

Fériel Bakouri revient sur les transformations qui confèrent une nouvelle unité au Théâtre des Louvrais et au Théâtre 95 - Critique sortie  Cergy-Pontoise
Fériel Bakouri, directrice de Points Communs. © Manon Jaupitre

Entretien / Fériel Bakouri

Publié le 24 septembre 2022 - N° 303

Directrice de Points Communs, Fériel Bakouri revient sur les transformations qui confèrent une nouvelle unité au Théâtre des Louvrais et au Théâtre 95, les deux lieux composant la Nouvelle Scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise.

Comment a été pensée la création d’une identité commune pour les deux lieux de Points Communs ?

Fériel Bakouri : L’idée de créer une identité cohérente qui rassemble ces deux théâtres est le prolongement d’une partie importante du projet pour lequel j’ai été nommée à la tête de Points Communs. Ce projet a en son cœur notre lien aux habitants de nos territoires, au-delà même des représentations qui sont proposées sur nos scènes. Nous avons lancé un chantier afin que nos deux théâtres deviennent des lieux de vie ouverts à toutes et tous, y compris en journée. Cela, en consultant les habitants, en leur demandant comment notre scène nationale pouvait devenir, pour eux, un lieu d’échanges avant et après la représentation, et comment ils avaient envie de vivre ces possibles débordements. La relation que nous entretenons avec nos publics est pour moi quelque chose d’essentiel. Cette relation se joue, en dehors des spectacles, à travers la vie même du lieu, à travers les grands projets participatifs que nous élaborons, à travers l’atmosphère, l’ambiance qui doit donner envie aux spectatrices et spectateurs de rester chez nous. Un théâtre public ne peut pas être que ça, mais il doit aussi être ça : un endroit où l’on est bien entre amis, où l’on rencontre des artistes… Du 16 au 18 septembre, a eu lieu le week-end d’ouverture pour fêter notre nouvelle saison et nos nouveaux espaces. Ce week-end a débuté par une grande fête artistique conçue par le chorégraphe Arthur Perole, avec tous les styles de musiques, pour toutes les générations, que l’on  écoute dans des casques. Il y a eu aussi des visites, des rencontres, des performances surprises…

De quelle façon vos deux théâtres ont-ils été transformés ?

F.B. : Il y a du nouveau mobilier, de nouveaux espaces bars, une nouvelle décoration, une nouvelle ambiance lumineuse, une harmonisation visuelle qui permet d’unifier l’identité de nos deux lieux. Tout cela, afin de créer de la convivialité, notamment pour les jeunes. Mon projet pour Points Communs développe un lien fort à la jeunesse, nourri par mon sentiment qu’il faut que les jeunes adultes et les adolescents entrent dans les lieux artistiques par le biais des professeurs et de l’éducation artistique, mais pas uniquement. Il faut donc se demander comment déclencher leur envie et leur autonomie de venue. Ce qui se traduit, dans notre programmation, par trois temps forts Génération(s) qui mêlent des univers qui leur sont proches, comme du hip-hop japonais ou du Krump, avec Botis Seva, mais aussi des univers qu’ils ne connaissent pas encore et que l’on souhaite leur faire découvrir, comme le théâtre de Mohamed El Khatib ou de Marie-José Malis, par exemple.

En plus de consulter les habitants sur la transformation de vos deux lieux, vous avez interrogé les jeunes sur leurs attentes vis-à-vis de Points Communs…

F.B. : Oui. Il est ressorti de ces consultations que beaucoup de nos propositions les intéressent, mais qu’ils ne sont pas toujours au courant de ce qui se passe chez nous, que le théâtre au sens classique du terme ne leur fait pas forcément envie, mais qu’une fois qu’ils ont passé nos portes, ils aiment ce qu’ils voient. Se pose donc la question de la façon dont on communique avec eux. Notre souci de la jeunesse est particulièrement fort, car 40 % des habitants du Val-d’Oise sont des jeunes. Aucun des spectacles pensés pour eux ne doit pourtant exclure les autres publics. Les formes programmées lors du temps fort Génération(s), par exemple, doivent pouvoir parler aux spectateurs de tous les âges.

« Je crois en l’exigence, en l’excellence, surtout pas à l’élitisme. »

Vous présentez également un temps fort intitulé Arts et Humanités

F.B. : Il s’agit d’un temps de programmation international avec des artistes rarement vus en France. L’idée est de faire un écho aux 142 nationalités qui habitent à Cergy-Pontoise. C’est aussi une façon de lutter contre le repli sur soi, spécialement après la crise du Covid. Notre programmation est extrêmement éclectique. Sans jugement de valeur, sans hiérarchie, elle se compose de grands écarts entre des propositions très ouvertes, très grand public, et des projets plus pointus. Le rôle d’une scène nationale est de s’adresser à toutes et à tous. Nous avons aussi pour mission de soutenir les artistes à travers des coproductions et des temps de résidences. Depuis 2021 et jusqu’à 2023, nous accueillons quatre artistes en résidence (ndlr, Naïssam Jalal et Les Cris de Paris pour la musique, Volmir Cordeiro pour la danse et Emilie Rousset pour le théâtre). Soutenir la création, c’est aussi coproduire des artistes qui viennent répéter chez nous et qui présentent leur spectacle pour la première fois sur l’une de nos scènes.

Quel est l’ADN de Points Communs ?

F.B. : Disposer de deux lieux, c’est à la fois une contrainte — économique et logistique — et une grande chance. Nos trois salles nous permettent une grande richesse de programmation, à travers laquelle nous tenons à affirmer des valeurs, notamment humanistes. Nous souhaitons accompagner les habitants du Val-d’Oise pour qu’ils trouvent par eux-mêmes un rapport essentiel aux arts et à la culture. Notre travail, sans imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, consiste à favoriser cette démarche, à l’initier, à faire en sorte que nos habitants puissent devenir des passionnés des arts vivants. Travailler à Cergy-Pontoise, c’est prendre conscience de la responsabilité que l’on a par rapport à un territoire de 1246 km2 où il n’existe pas d’autre théâtre structurant et labellisé. Nos actions doivent donc avoir des angles en lien avec toutes les populations qui vivent dans notre ville et notre département. Nous avons un rôle de phare, pas au sens hégémonique du terme, au sens d’éclaireur, de facteur de découverte. Nous souhaitons partager un maximum de choses avec les spectatrices et spectateurs, afin de les amener à découvrir des œuvres et des artistes qu’ils ne connaissent pas, de faire naître en eux de nouvelles envies.

Finalement, votre action met en place les conditions du choc esthétique dont parlait André Malraux…

F.B. : Exactement. Je crois en l’exigence, en l’excellence, surtout pas à l’élitisme, qui suppose que certaines choses ne sont pas faites pour certaines personnes, ce que je n’accepterai jamais. Non seulement le choc esthétique est possible, mais il se produit à quasiment toutes les représentations, et pas forcément aux plus faciles d’accès. La question est de savoir comment on génère de la curiosité. Mon travail de directrice est de créer des dialogues, des relations, de la complicité, de la confiance. C’est ça, le service public de la culture.

 

Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat

A propos de l'événement

Fériel Bakouri revient sur les transformations qui confèrent une nouvelle unité au Théâtre des Louvrais et au Théâtre 95


Points Communs - Nouvelle Scène nationale Cergy-Pontoise / Val d’Oise

Théâtre 95, allée des Platanes, 95000 Cergy

Théâtre des Louvrais, place de la Paix, 95300 Pontoise.

Tél. : 01 34 20 14 14.

www.points-communs.com

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