La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -243-LA MANUFACTURE~COMPAGNIE JEAN~CLAUDE FALL

Etty l’insoumise

Etty l’insoumise - Critique sortie Théâtre Paris
© D. R.

Théâtre de la Tempête / d'après Une vie bouleversée d'Etty Hillesum (traduction française de Philippe Noble) / conception et interprétation Roxane Borgna / mes Jean-Claude Fall

Entretien / Jean-Claude Fall

Publié le 24 avril 2016 - N° 243

Jean-Claude Fall met en scène Roxane Borgna pour une leçon de philosophie et de résistance, entre performance et introspection.

« Restons des êtres pouvant aimer l’autre ! »

Pourquoi mettre en scène la voix d’Etty Hillesum ?

Jean-Claude Fall : Ce qui nous a le plus frappés dans ses textes, c’est sa posture par rapport à la terreur. La haine ne me concerne pas, dit Etty, je ne veux pas y entrer, j’aime les hommes et la vie, personne ne peut m’enlever ça, et je ne veux pas qu’on me l’enlève. Comment travailler à rester un homme joyeux, libre, aimant les autres, à l’intérieur d’un système totalitaire et terroriste ? A Antibes, nous avons joué en novembre au lendemain des attentats : il est évident que la salle, debout, applaudissait ce que ça nous raconte pour aujourd’hui !

Les situations ne sont pourtant pas comparables…

J.-C. F. : Evidemment non ! Nous ne vivons pas dans un système de terreur comparable. En revanche, le terrorisme existe aujourd’hui sous une autre forme et nous avons tous le réflexe de nous protéger. L’autre devient une figure qu’on hait, et on est abîmé par la rage. N’entrez pas dans le cycle de la haine, du rejet, de la rage, restez du côté de la vie, restons des êtres pouvant aimer l’autre, notre voisin, restons emplis par cet amour ! Cette posture-là est une posture philosophique sur la liberté dans les contraintes les plus extrêmes. Comme rester un être libre et aimant, et libre parce qu’aimant ?

Comment s’est aménagé le passage du texte à la scène ?

J.-C. F. : C’est très compliqué ! Comment représenter, en effet, ce que je viens d’évoquer ? L’idée de performance nous a permis d’éviter la narration, l’incarnation et l’identification. Il y a évidemment incarnation, puisqu’il y a engagement dans le jeu et dans la parole, mais Roxane ne dit pas « je suis Etty Hillesum ». C’est depuis elle-même qu’elle se saisit de la parole d’Etty. Voilà qui est simple à dire, mais pas à faire ! Nous avons beaucoup travaillé avec le chorégraphe Mitia Fedotenko en nous imposant des défis pour dépasser la fonction de l’acteur. Défi physique d’abord, qui est celui de la performance, mais aussi défi de la durée. Le spectacle dure exactement soixante minutes. Il se termine par la lecture de la dernière lettre d’Etty : elle s’arrête avec le décompte du temps. Cette fin est aléatoire : comme la vie d’Etty s’est arrêtée non dans son temps à elle, mais dans un temps qui lui a été imposé.

Quel décor pour cette performance ?

Crédit photo : François Van Denbunder

Crédit photo : François Van Denbunder

J.-C. F. : La performance excluait l’hypothèse d’un décor et de lumières relevant des codes habituels. Il n’y a pas de projecteurs. Un écran part des cintres et se pose sur le plateau comme une feuille. Le spectacle se joue sur ce drap écran où sont projetées des images qui éclairent la scène. Ces images sont composées à partir de tableaux monochromes, qui évitent l’invasion du figuratif, et constituent des aplats vibrants et profonds sur lesquels sont incrustées des photos retravaillées par Laurent Rojol. Chaque séquence est nourrie de ces images et d’une bande son travaillée avec Eric Guenou. La musique industrielle, qui l’inspire, peut évoquer un chemin de fer, le son d’une prison, le son des espaces interstellaires.

S’il fallait définir d’un mot ce spectacle…

J.-C. F. : C’est un spectacle très percutant, presque un coup de poing. C’est un voyage à l’intérieur d’une âme qui bouge parce qu’elle est bousculée par l’Histoire, un voyage dans le temps et l’esprit. Pour finir, je veux insister sur cette figure atypique de résistance. Etty n’est ni dans la plainte ni dans la violence. Sa résistance, plus philosophique, est tout aussi riche. Todorov l’appelle « l’insoumise ». L’insoumission est la meilleure définition de sa posture.

A propos de l'événement

UNE VIE BOULEVERSÉE
du jeudi 26 mai 2016 au dimanche 5 juin 2016


Théâtre de la Tempête, Cartoucherie.

Du mardi au samedi à 20h30 ; dimanche à 16h30. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 1h.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre