Éloge des pionniers

©Photo: Philippe Mercier Crédit : DR

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Entretien / Philippe Mercier

Publié le 7 août 2017 - N° 257

Philippe Mercier a participé à l’aventure de la décentralisation de 1957 à 1971 à la Comédie de l’Ouest, au théâtre de Bourgogne et au TNS. Témoin précieux et sagace, il est aussi le fil conducteur du passionnant film de Daniel Cling, projeté dans le cadre de cet anniversaire.

« Reste cette grammaire du théâtre dont nous sommes tous héritiers… »

Comment les CDN sont-ils nés ?

Philippe Mercier : Après la guerre, ont émergé des troupes amateurs et Jeanne Laurent leur a donné un statut professionnel. Tous ces hommes avaient envie, sans s’en être particulièrement parlé, d’apporter le théâtre là où il n’y en avait pas. Dasté, Gignoux, Sarrazin, Clavé et tous les autres avaient envie de faire découvrir quelque chose d’autre que les tournées Karsenty ! Les bourgeois allaient voir Edwige Feuillère quand elle passait dans les théâtres municipaux, mais il n’y avait rien en face, rien pour le peuple et les auteurs contemporains n’étaient quasi pas joués.

Quel était le sens politique de leur démarche ?

P. M. : Ils avaient tous l’âge d’avoir fait ou connu la guerre. Ils voulaient partager : la culture, le divertissement, et jouer n’importe où, dans une grange, dans une église s’il n’y avait que ça, dehors s’il n’y avait rien. Beaucoup venaient de la Résistance, d’autres du catholicisme militant. Très vite, certains se sont installés dans la périphérie communiste de Paris. Ces pionniers se sentaient missionnés : là était le sens politique de leur démarche. Les pionniers avaient réuni des troupes : tout le monde faisait tout ! Après 68, le pouvoir a été récupéré par les metteurs en scène qui ont transformé les maisons, renforçant les équipes administratives et techniques et liquidant les troupes.

Quel avenir pour cette aventure ?

P. M. : Comme d’habitude, l’Histoire avance et le théâtre est prémonitoire. A l’origine, auprès d’un grand créateur, il y avait un grand administrateur. Le problème c’est que les metteurs en scène ont cru pouvoir être à la fois des chefs d’entreprise et de grands artistes… En perdant la troupe, on a beaucoup perdu : parfois, on entretient la boutique et on fait un peu de garage ! Certains perpétuent cet esprit de la décentralisation, mais il est illusoire de croire pouvoir remonter le cours de l’Histoire. Reste cette grammaire du théâtre dont nous sommes tous héritiers…

Propos recueillis par Catherine Robert

Comédie de l’Est – Centre Dramatique National d’Alsace.

6, route d’Ingersheim, 68027 Colmar.

Tél. : 03 89 24 31 78.

Site : www.comedie-est.com