Debora Waldman laisse émerger de nouveaux équilibres entre la musique et le drame
En résidence à l'Orchestre Dijon-Bourgogne et [...]
Focus -321-Tosca par l’Opéra de Dijon : une plongée au cœur de la vérité du drame puccinien
Le metteur en scène Dominique Pitoiset, directeur de l’Opéra de Dijon, et Nadia Fabrizio, qui dessine les costumes, évoquent la préparation de leur nouvelle production de Tosca, qui prend le parti d’un théâtre d’acteurs.
Pourquoi avoir choisi de mettre en scène Tosca ?
Dominique Pitoiset : À l’Opéra de Dijon, nous proposons, depuis mon arrivée, une programmation très ouverte sur la diversité des genres du spectacle vivant, autour d’une colonne vertébrale qui est celle d’un Théâtre Lyrique d’Intérêt National. Ceci consiste aussi à privilégier la présentation de grands ouvrages du répertoire lyrique qui mettent en valeur notre chœur permanent et notre orchestre conventionné, l’Orchestre Dijon-Bourgogne, sous la direction de notre cheffe associée Debora Waldman. Dans le cadre du centenaire de la mort de Puccini, j’ai choisi de programmer deux opéras dont le livret est tiré d’œuvres dramatiques marquantes : Turandot est adapté d’une pièce de Gozzi et Tosca du drame historique de Sardou créé par Sarah Bernhardt.
Quel sens cela-a-t-il de monter Tosca aujourd’hui ?
D.P. : L’histoire a beau se dérouler en 1800, au moment où les troupes napoléoniennes et celles du Roi de Naples se disputent Rome, il n’est pas besoin de beaucoup transposer le contexte pour qu’elle trouve un écho aujourd’hui, tant les émotions qui s’y déploient font rebondir l’imaginaire. Ce n’est pas un hasard si c’est l’un des opéras les plus joués au monde. La musique de Puccini a une très grande puissance de suggestion. Sa dimension viscérale peut en partie expliquer pourquoi on compare souvent l’opéra à une séance de possession collective, à une forme de transe.
Nadia Fabrizio : Et, d’un point de vue plus terre à terre, le destin d’une femme prisonnière de la violence des hommes entre en résonance avec le contexte post-metoo.
Comment avez-vous développé votre lecture de l’ouvrage ?
D.P. : Si nous avons cherché à mettre en évidence les traumatismes et la gradation du harcèlement et des agressions que subit Tosca, jusqu’à l’acculer au meurtre, nous n’avons pas voulu les révéler par des signes explicites dans une énorme vitrine scénographique dont nous n’avons pas les moyens ici. Notre contribution au débat sur la place du concept scénographique qui traverse de nouveau l’actualité de l’art de la mise en scène à l’opéra est, pour ce projet, inspirée par un retour à l’espace vide du Théâtre du Globe shakespearien. Notre décor se résume d’abord à une page blanche posée sur la grande scène de notre auditorium doté d’une belle acoustique.
N.F. : L’esthétique visuelle très épurée s’affirme dans le choix du mobilier, des accessoires et des vêtements. Dominique a été formé à l’école allemande du théâtre concret et à l’élaboration d’une dramaturgie très documentée. J’ai conçu les costumes – avec plusieurs générations de maquettes livrées en amont à l’atelier – au fil de nombreuses séances de préparation. Mais la création se peaufine encore en évoluant quotidiennement lors des répétitions. Ce chantier demande une grande proximité avec l’équipe de réalisation.
D.P. : Pour cette production, nous n’aurons pas recours à la vidéo. Nous avons choisi, avec mon conseiller pour les distributions Mathieu Pordoy, un casting de tout premier plan. Monica Zanettin, Jean-François Borras et Dario Solari sont à la tête d’une magnifique équipe d’acteurs. Je lis et je prépare beaucoup avant les répétitions mais je ne fais pas de « storyboard » comme nombre de mes collègues. L’essentiel se crée lors des répétitions, conçues comme un atelier de jeu où tout reste ouvert avec les artistes, comme un chantier de rencontres où l’on se pose des questions. Je viens d’une culture qui est celle du théâtre parlé, reconsidérée et prolongée grâce à l’expression du chant lyrique.
N.F. : La dynamique est d’autant plus féconde que les chanteurs sont de mieux en mieux préparés au jeu d’acteur. Ils montrent un véritable appétit pour la recherche du sens de leur interprétation.
Comment avez-vous exploré la psychologie du rôle-titre ?
D.P. : En utilisant la très grande profondeur de scène, nous avons fait de Tosca le medium de sa propre histoire, habitée par une série de visions cauchemardesques qui arrivent littéralement de loin. Et puis la présence régulière de son double, enfant, donne corps à son passé traumatique. Cette confrontation avec ses fantômes se nourrit de références cinématographiques, dans un jeu néo-réaliste qui s’écarte des postures lyriques traditionnelles, sans pour autant céder aux excès du vérisme. Ce caractère hallucinatoire, qui s’abstient d’effets spectaculaires, donne à notre mise en scène une dynamique analytique, à la découverte de l’origine des tensions et des secrets qui sourdent dans ce livret tragique et dans la musique habitée de Puccini.
Propos recueillis par Gilles Charlassier
Du 12 au 18 mai à 20 heures, le dimanche à 15 heures.
Tél. : 03 80 48 82 82. Durée : 2h30 avec 1 entracte.
En résidence à l'Orchestre Dijon-Bourgogne et [...]