La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

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Daniel Danis

Daniel Danis - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2009

Bled : un Petit Poucet d’aujourd’hui

Daniel Danis, conteur, auteur et metteur en scène québécois reconnu et maintes fois primé (Cendres de cailloux, Le Langue-à-langue des chiens de roche, Le Chant du Dire-Dire) écrit un théâtre incisif et singulier où la beauté brute d’une langue poétique et politique dépeint un monde souvent cruel. Bled, quête initiatique entre réel et imaginaire, sonde avec force et humour notre façon d’habiter le monde. « Je porte mon nom à cause de mon grand-père, sans pays, qui avait le mal du bled. » Sans logis, les parents de Bled, cadet d’une famille de sept garçons, lui demandent de partir à la recherche d’une maison. Le dramaturge réinvente la figure et le parcours semé d’embûches du Petit Poucet à l’aune de la société d’aujourd’hui. Dès 8 ans.

Comment Bled réactualise-t-il le conte du Petit Poucet ?
Daniel Danis : Rusé et voulant assurer son retour, Bled chaparde le portable de son frère pour filmer le chemin qu’il empruntera. Il part le cœur lourd mais les pieds bien ancrés au sol. Il filme sa route comme s’il marchait en temps direct, sous l’actionnement d’un tapis roulant tandis que défilent à l’écran les images de paysages déambulatoires. Le portable fait office de mie de pain. Cette jonction ludique participe de la fusion du réel et de l’imaginaire de l’enfant spectateur. C’est un spectacle avec deux comédiens manipulateurs et des marionnettes.

Pourquoi avoir choisi le thème de la perte du logis ?
C’est au cours d’un atelier de théâtre en France avec des jeunes de banlieue que j’ai appris ce que voulait dire squatter ou habiter un appartement insalubre ou encore être expulsé d’un foyer dans les cités. J’ai vu une famille squatter un bâtiment réservé aux réparations des voitures.

Où s’exerce la fascination du conte ? Sur la peur et la frayeur qu’inspire l’inconnu ?
D. D. : J’ai tenté de miser sur la force de l’imagination du petit garçon, comme si de là venait la source magique de sa démarche. L’idée de la faim de Bled est évoquée, même si cette souffrance est un sujet délicat dans nos sociétés occidentales. Bled « vomit » son cœur, la part positive de lui-même avec laquelle il reste en dialogue effectif, il l’attache à sa jambe pour ne pas qu’il le quitte. Ce Petit Poucet s’inscrit dans un univers social chaotique, entouré de frères malcommodes, dealers à leurs heures. L’enfant éprouve des difficultés à sortir de ce marasme.

Bled fait l’expérience d’une altérité plus sombre, celle de Shed, un personnage qui le poursuit.
D. D. : Shed est la manifestation des peurs de Bled. Dans nos rêves, nous sommes poursuivis par nos propres monstres, des figures de nos angoisses. Les êtres humains sont pourvus d’un imaginaire collectif nourri de la peur de la mort et de l’angoisse du temps. L’enfant, quand il est seul, a déjà le sentiment de faire face à la menace de mort. Or, ces images – un bûcheron qui lève sa hache dans la pièce – s’amenuisent car la vie prend le dessus.
 
« Bled est une pièce pensée à partir des paysages de la France et de l’émigration algérienne sur la route du Sud vers le Nord. »
 
Vos textes pleins de poésie ont vocation politique.
D. D. : Bled est une pièce pensée à partir des paysages de la France et de l’émigration algérienne sur la route du Sud vers le Nord. Mes textes jeune public sont paradoxalement les plus politiques. La parole du Pont de pierres et la peau d’images par exemple pose la question du devenir des enfants qui se prennent en charge.

Pourriez-vous dire pourquoi vous privilégiez l’écriture de théâtre ?
D. D. : J’aime la promiscuité de l’être à cet endroit unique où l’on peut partager une parole de vivant à vivant, le temps d’une rencontre. On entend la voix de l’humain qui parle, ses inflexions, on voit parfois sur la scène des maladresses. Ces moments magiques produits par le corps et la voix sont exceptionnels d’intensité. La scène est un lieu de porosité entre la réalité et l’imaginaire. La représentation appartient au temps réel du spectateur, installé dans un fauteuil devant lequel se déploie un imaginaire autre. C’est un accès irremplaçable à l’expérience du sacré.


Propos recueillis par Véronique Hotte


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