La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -328-À anthéa à Antibes, un fort ancrage et une exploration de nouveaux rivages

Daniel Benoin fait vivre à anthea un théâtre radieux, habité par des femmes puissantes

Daniel Benoin fait vivre à anthea un théâtre radieux, habité par des femmes puissantes - Critique sortie  Antibes Anthéa Antipolis - Théâtre d'Antibes
Daniel Benoin © DR

Entretien Daniel Benoin

Publié le 13 décembre 2024 - N° 328

À la tête d’anthea depuis 2013, Daniel Benoin y propose une programmation foisonnante, éclectique, qui se plaît à surprendre et déjouer les attentes. Cette saison, il explore la profondeur énigmatique d’Une lettre de mariage de Botho Strauss.  Personne d’autre, première nouvelle du recueil, donne son titre à ce monologue féminin au cœur de la douleur.

Pourquoi ce texte ?

Daniel Benoin : Je suis un grand admirateur de Botho Strauss. Ce texte est la première des nouvelles réunies dans Personne d’autre. Il raconte l’histoire d’une femme qui apprend que l’homme avec lequel elle a vécu pendant vingt ans se marie avec une autre. La veille du mariage, elle veut lui écrire une lettre. Quand j’ai voulu monter ce texte magnifique, j’ai pensé que seule une actrice qui soit aussi musicienne et chanteuse pourrait exprimer cette douleur si forte. Rencontrer Aurélie Saada m’en a donné l’envie. Quand on choisit une comédienne pour un monologue, mieux vaut ne pas se tromper !

« Le doute permet d’avancer. Je le crois moteur essentiel du travail et de l’existence. »

Comment vous emparez-vous de cette parole au féminin ?

D.B. : L’auteur est un homme, le metteur en scène est un homme. Est-ce qu’un homme comme Botho Strauss parvient à écrire une parole absolue de femme ? Oui, je le crois. Pour ma part, je la mets en scène en me méfiant à chaque seconde de mes propres sensations. Le doute permet d’avancer. Je le crois moteur essentiel du travail et de l’existence. J’adore les pièces qui parle du politique, de la manière dont les humains se combattent et se détruisent, et j’ai souvent monté des pièces à grande distribution. Avec un comédien seul, il faut une confiance réciproque et totale. C’est beaucoup plus dangereux et très différent d’un travail avec une troupe. La fatigue est plus grande ; on ne peut pas répéter huit heures par jour et il faut surtout savoir comment prendre en compte les réactions de l’autre.

Pour cette pièce, vous travaillez avec Paulo Correia, du Collectif 8, par ailleurs associé à anthéa.

D.B. : Avec lui, nous cherchons à représenter ce qui se passe dans la tête de cette femme quand le décor est envahi par ses sentiments. Dans les années 2000, je ne voulais pas de vidéo dans mes spectacles. Je trouvais que les images remplaçaient l’imaginaire et rajoutaient des choses inutiles. Jusqu’à ce que la vidéo se transforme et que je découvre le travail du Collectif 8 et de Paulo Correia. Avec lui, les images pénètrent beaucoup plus fortement le plateau, comme si elles surgissaient du jeu de la comédienne. Le Collectif 8 est une troupe extraordinaire, composée d’anciens élèves que j’ai formés à l’école de Saint-Etienne, venus travailler avec moi à Nice puis à Antibes. Elle est associée à anthéa, ce qui lui donne les moyens de répéter pendant plusieurs mois et de créer dans des conditions qui seraient impossibles ailleurs. C’est indispensable à leur œuvre, qui exige des ajustements permanents sur scène. Le public adore leurs spectacles et la permanence artistique est une formidable ressource pour un théâtre.

Comment se porte anthéa ?

D.B. : Ce théâtre marche mieux que mon optimisme pourtant très fort me laissait l’espérer ! Nous comptons 15 500 abonnés, dont la moyenne d’âge est de 39 ans, un remplissage à 83 % avant le début de la saison. Je suis un des derniers à prôner l’abonnement, autre pilier de la réussite de cette maison, avec l’importance des créations : il faut que les gens s’engagent ; et quand ils viennent, ils sont heureux. La manière de fonctionner de ce théâtre me permet de tenir compte de ce que le public a envie de ressentir, ce qui ne veut pas dire que nous lui donnons seulement ce qu’il a envie de voir. On peut à la fois présenter des spectacles grand public et proposer aux spectateurs de découvrir ce qu’ils ne connaissent pas encore. Les formules d’abonnement mélangent les deux. Le public découvre très souvent, avec plaisir, des spectacles qu’il ne serait pas allé voir sans être abonné : rien ne rend plus heureux un directeur !

Quel est le secret de ce succès ?

D.B. : Qui connaît la réponse à cette question ? Ce que je sais, c’est qu’il exige de beaucoup travailler : nous donnons 250 représentations par an, ce qui est beaucoup. Nous faisons aussi en sorte que les gens soient contents de passer la soirée avec nous. Nous sommes dans une ville de 75 000 habitants ; pour venir à anthéa, il faut prendre sa voiture : on a donc intérêt à avoir des parkings puisque les transports en commun s’arrêtent avant la fin des spectacles ! Nous avons aussi trois lieux de restauration qui dépendent du théâtre, et aujourd’hui, la restauration est bénéficiaire. Nous servons, les soirs de spectacle, 300 à 320 repas, ce qui, là encore, est beaucoup ! L’atmosphère est joyeuse, conviviale ; les gens s’interpellent entre eux. Ils ne viennent pas seulement voir un spectacle et repartent généralement comblés.

Quelles sont vos contraintes ?

D.B. : Artistiquement, aucune, sinon la qualité. La programmation est notre premier souci, avec des créations, des productions et des coproductions. Nous ne jouons pas pendant les vacances scolaires : nous répétons les créations de la troupe associée et d’autres, comme Les Collectionneurs, installés dans la région et qui viennent travailler ici. La moitié de la programmation est dévolue au théâtre, l’autre moitié à la danse, aux concerts, à l’humour, au one man show et à l’opéra. Cette interaction entre les différents types de spectacles vivants correspond à la demande et nous y répondons. Cela ne nous empêche pas de soutenir la nouvelle génération théâtrale.

Autre rendez-vous avec une femme pour vous cette année avec Carmen.

D.B. : C’est vrai ! Je n’y avais pas pensé ! Et ces deux-là se ressemblent : elles sont des femmes puissantes. J’ai toujours été frappé par le fait que dans Woyzeck, que j’ai mis en scène sept fois, Marie est la première femme de l’histoire du théâtre qui dit « je t’aime » à deux hommes en même temps. Jusqu’alors, les femmes étaient des Ophélie. Là, elles ne sont plus des victimes. Ma Carmen est de celles-là. Je la mets en scène à l’aube de la guerre d’Espagne, entre le 18 juillet et le 15 août 1936, entre l’arrivée du Tercio à Séville et sa rencontre avec des cigarières républicaines menée par Carmen, cette femme qui se lève contre le pouvoir des hommes. Une femme qui, comme celle que raconte Botho Strauss, se reconstruit dans la splendeur de sa parole libérée.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

Anthéa Antipolis - Théâtre d'Antibes
260, avenue Jules-Grec, 06600 Antibes.

Tél. : 04 83 76 13 13.

Site : www.anthea-antibes.fr

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le spectacle vivant

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le spectacle vivant