Aline Piboule, les sentiers de la narration pianistique

« J’aime concevoir un récital comme un voyage. Je procède de manière intuitive, en particulier au gré de mes recherches sur internet. Des affinités se dévoilent entre des pièces et des compositeurs auxquelles on ne s’attend pas toujours. Pour le programme Rivages et héritages que je prépare pour le Festival de Radio-France cet été autour du répertoire anglais méconnu, j’ai, par exemple, choisi la Suite pastorale de Cyril Scott – mort à Eastbourne, où Debussy avait achevé La mer – et en lisant la Correspondance de Ravel j’ai découvert que les deux musiciens se connaissaient pour avoir participé à un même jury en France. La suite Le tombeau de Couperin prendra ainsi une résonance différente. Ce voisinage entre grands classiques et raretés redonne une nouvelle vie aux œuvres, et rencontre un véritable écho auprès du public – l’accueil réservé à mon dernier disque de musiques françaises oubliées témoigne de cette soif d’inconnu. L’interprète ne montre pas sa sensibilité seulement dans son jeu, mais également dans la construction de ses programmes.

Deux voix, quatre mains

Ce besoin de narratif dans le concert, je le développe aussi dans des formes hybrides, créant des liens avec d’autres arts. J’ai la conviction que la musique peut être à la portée de tous, et qu’il faut trouver les moyens pour qu’elle paraisse moins abstraite à ceux qui n’en écoutent jamais. À ma sortie du CNSMD de Paris, j’ai participé à une tournée de cinq ans d’un spectacle de jonglage sur des morceaux de Beethoven, Ligeti et Dutilleux. Avec Boutès ou le désir de se jeter à l’eau, on a écrit avec Pascal Quignard un récital-lecture à quatre mains. Au fil des pièces que je lui proposais, il retouchait et enrichissait son texte pour être au plus près de cette osmose narrative entre le texte et la musique. Ensemble, nous travaillons aujourd’hui sur un nouveau projet, Ruines, dans cette même veine, au carrefour des lettres et des notes. »

Propos recueillis par Gilles Charlassier