La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Focus -196-THEATRE DES QUARTIERS D’IVRY

ADEL HAKIM

ADEL HAKIM - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 mars 2012

RENCONTRES AU CŒUR DE L’UNIVERSEL

ADEL HAKIM, CODIRECTEUR DU TQI, MET EN SCENE ANTIGONE, DE SOPHOCLE, AVEC LES ACTEURS DU THEATRE NATIONAL PALESTINIEN : AU CŒUR DE L’UNIVERSEL ET DANS LA COMMUNION.

« C’est une pièce universelle qui ne donne pas de clé de lecture du conflit régional. » Adel Hakim
 
Comment avez-vous rencontré le TNP ?
Adel Hakim : Tout a commencé lorsque Nabil El Azan a monté Le Collier d’Hélène, de Carole Fréchette, à Jérusalem, avec des acteurs du Théâtre National Palestinien, et qu’il m’a invité à aller voir le spectacle là-bas. J’y suis allé, le spectacle m’a ému, les acteurs étaient remarquables. En 2009, nous l’avons invité au Studio Casanova. L’accueil du public a été très chaleureux. Avec l’équipe du TQI, nous avons alors décidé de continuer à travailler avec le Théâtre National Palestinien. Après longue réflexion, j’ai décidé de monter Antigone. En décembre 2010, j’ai fait passer des auditions à Jérusalem et j’ai constitué le groupe des sept acteurs pour jouer la pièce. Nous avons répété deux mois, et créé la pièce en mai 2011, à Jérusalem. Le spectacle a tourné à Ramallah, Naplouse, Bethleem et Haïfa. Il est repris, en mars, à Ivry, pendant quatre semaines, et tourne ensuite pour une vingtaine de dates en région parisienne et en province.

Pourquoi Antigone ?
A. H. : D’abord parce que c’est une pièce universelle qui ne donne pas de clé de lecture du conflit régional. Une injustice est commise par Créon : Polynice n’est pas enterré dans sa terre natale. Antigone parle du rapport à la terre : qu’est-ce qu’être né sur un sol et subir une injustice par rapport à cette terre ? Il arrive souvent que des Palestiniens ne puissent pas être enterrés sur leur terre natale : c’est le cas de Mahmoud Darwich ou de Yasser Arafat. Antigone résiste à cette décision qui lui paraît injuste. Le conflit est d’abord familial : on échappe ainsi au préjugé d’un Créon méchant Israélien contre une Antigone rebelle et terroriste. Cette pièce traite de l’injustice, de la répression, des rapports entre les hommes et les femmes, des droits de l’homme supérieurs à la loi d’un Etat ou d’un gouvernement. Le texte a une dimension lyrique et métaphysique qui va au-delà d’un conflit ponctuel et permet d’ouvrir l’imagination du spectateur selon plusieurs axes.

Comment les acteurs ont-ils rencontré le texte ?
A. H. : J’ai aussi choisi Antigone pour mettre en valeur leurs qualités d’interprétation. Les acteurs ont très vite compris, de manière intime et profonde, ce que raconte la pièce. Ils savent ce que veut dire la tragédie, sur scène comme dans la vie. Ils ont une connaissance de ces situations tellement ancrée dans leur chair et leur âme qu’ils n’ont pas de mal à les interpréter sur scène. Non seulement ils n’ont pas de préjugés mais, en plus, les références qu’ils avaient pour jouer la pièce étaient concrètes. Tout ce qui concerne la vie quotidienne des Palestiniens rejoint les problèmes développés par Sophocle : leur principal souci, c’est de survivre. Il est, je crois, plus facile de faire du théâtre par temps de crise, car, si on veut survivre, on est obligé d’en trouver les outils avec poésie, humour et ironie. Les Chroniques de la vie palestinienne, écrites par Hussam Abu Eisheh, sont ainsi des textes très drôles. Là-bas, les gens veulent la paix et désirent vivre tranquillement. Faire du théâtre et de la poésie, c’est une manière de trouver la paix avec soi-même, même si, malheureusement, peu ont la possibilité d’emprunter le chemin de l’art, et que la vie est une vie sous tension. Antigone n’a pas peur de mourir et c’est ce qui fait s’écrouler Créon. Cela, je l’ai vu dans les yeux et les comportements des adolescents là-bas. On ne peut plus rien, ni pour, ni contre celui qui n’a pas peur de mourir.

Vous rendez également hommage à Mahmoud Darwich à l’occasion de ce spectacle. Pourquoi ?
A. H. : D’abord parce qu’il y a une grande correspondance entre son écriture et celle de Sophocle. Darwich fait souvent référence à la culture grecque, en se disant poète troyen, poète de la défaite mais pas de la reddition. Comme Sophocle, il traduit les conflits, les tragédies humaines, le quotidien douloureux par la poésie. Mahmoud Darwich est d’abord un immense poète. Il a longtemps été militant de la cause palestinienne, mais, à la fin, il en avait assez d’être le porte-parole de son peuple sur le plan de la poésie. Parce que le poète a envie de parler d’autre chose ; il a besoin de parler de la vie et de l’exaltation de la vie. Darwich est un poète à la fois très populaire, très exigeant et très accessible. En cela, il rejoint Sophocle qui parlait à tous les Grecs et pas seulement à une élite. Parler à tous sans renier la qualité et l’exigence est la marque d’un artiste universel. Le 31 mars, nous le lirons, en arabe et en français, ainsi que deux autres poètes, Sonia Khadr et Khaled Jouma.

Pourquoi ce choix de lire et de jouer en arabe ?
A. H. : La langue arabe est peut-être plus proche du grec ancien que le français. Sa phonétique correspond plus, à mon sens, à celle de la tragédie. Le problème de l’arabe, c’est qu’il y a beaucoup de niveaux de langue extrêmement cloisonnés (coranique, littéraire, journalistique, dialectale). Pour Antigone, nous avons choisi la traduction d’Abd El Rahmane Badawi, à la fois littéraire et proche du parler populaire, qui respecte le lyrisme de Sophocle, tout en étant compréhensible par tout le monde. La langue arabe est très rarement entendue sur les scènes françaises, au contraire de nombreuses autres langues étrangères. On n’arrête pas d’entendre parler du pétrole, du conflit au Moyen-Orient, mais on n’entend pas cette langue. Or, il est important de le faire. De même qu’il est important de rencontrer des gens qui viennent d’un pays qu’on ne connaît que par les nouvelles tragiques que rapporte la télévision. C’est pourquoi toutes les manifestations que nous organisons autour d’Antigone sont aussi une manière de créer un dialogue avec le public, pour que les gens puissent communiquer directement avec les acteurs palestiniens. Ce spectacle et ces manifestations font partie de notre axe de programmation en tant que théâtre des quartiers du monde. La rencontre entre ces cultures peu connues et notre public, ainsi que la collaboration avec des équipes étrangères, font partie de nos missions. La mondialisation a sans doute beaucoup d’aspects négatifs, mais un de ses aspects positifs est de pouvoir découvrir les cultures des autres et d’ainsi enrichir la nôtre.

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement



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