La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Festen

Festen - Critique sortie Théâtre Paris Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
© Simon Gosselin Festen, performance filmique mise en scène par Cyril Teste.

Odéon Théâtre de l’Europe – Ateliers Berthier / De Thomas Vinterberg et Mogens Rukov / adaptation Bo Hr. Hansen / adaptation française Daniel Benoin / mes Cyril Teste, Collectif MxM

Publié le 14 novembre 2017 - N° 259

Après le succès de Nobody, Cyril Teste et le Collectif MxM créent à nouveau une performance filmique remarquablement maîtrisée, fondée sur le texte du film Festen. Une cérémonie épurée se déploie vers la reconnaissance de la vérité, se frayant un chemin cruellement contrasté entre le dit et le non-dit, le visible et l’invisible. 

On se souvient du film coup de poing réalisé par Thomas Vinterberg (1998), où l’urgence se traduit par le mouvement nerveux des images, à la manière du mouvement danois Dogme95 ou de John Cassavetes dans Une Femme sous influence. Dans la lignée du très applaudi Nobody, qui explorait le monde du travail à partir de textes de Falk Richter, Cyril Teste et le collectif MxM s’emparent du texte écrit par Thomas Vinterberg et Mogens Rukov et traduit par Daniel Benoin pour créer à nouveau une performance filmique, qui unit le plateau et l’écran en un geste créatif remarquablement précis et fécond. Le jeu théâtral ainsi s’articule de manière millimétrée à la réalisation et la projection d’un film en direct, qui accorde toute son importance au hors champ. Très différente du film qui révélait crûment la violence des affects, la mise en scène crée avec une sobriété très tenue, quasi chorégraphiée, une sorte de cérémonie ritualisée, nette, élégante, qui éclaire la souffrance intime chevillée à la cruauté de l’ordre établi, préservé envers et contre tout par des apparences trompeuses, ancrées et puissantes. Figure d’autorité indiscutable, Helge (Hervé Blanc) célèbre ses 60 ans. Ses trois enfants, Christian, Hélène et Michaël (Mathias Labelle, Sophie Cattani et Anthony Paliotti) sont là. Linda, la sœur jumelle de Christian, est la grande absente ; elle s’est suicidée un an plus tôt. Tel Hamlet hanté par le spectre de son père et décidé à démasquer Claudius, Christian s’emploie à démolir la fiction entretenue par ses parents, en révélant à travers un discours aux convives un terrifiant “secret“ d’enfance.

Autopsie d’un crime et d’un mensonge collectif

Sa prise de parole est une prise de pouvoir (et de caméra) qu’il a la force d’accomplir au nom de sa sœur morte, son regard sur le réel d’abord nié cherche à s’imposer, avec l’aide des employés de la maison qui semblent ici comme des veilleurs sacrés. A la fin, le corps du roi est nu. Grâce aux talents conjugués de toute l’équipe, le déploiement de la représentation captive et interroge profondément sur la dialectique qui se noue entre le dit et le non-dit, le visible et l’invisible, le crime et ses complicités. Fiction et vérité se confrontent et coexistent, unissant dans le même temps gaieté affichée et souffrance poignante. La pièce vise aussi à laisser émerger ce qui depuis l’enfance nourrit la mémoire dans une dimension sensorielle. Cyril Teste a fait appel à Francis Kurkdjian pour restituer divers parfums (un défi technique peu probant le soir de la première, qui va se perfectionner). Dans ce dialogue permanent entre théâtre et cinéma, on pourrait craindre une sorte de conflit de priorité du regard, hésitant entre une focalisation sur la scène ou sur l’écran, et l’écueil d’une mise à distance trop soignée qui rendrait la dimension humaine moins palpable. Soutenue par de remarquables interprètes, la pièce déjoue tous les pièges et réussit son pari avec maestria. Sans jamais céder à aucune facilité émotionnelle ou illustrative, elle enclenche un libre exercice captivant, au cœur de cet affrontement vital et bouleversant entre déni et vérité qui empoigne tout l’être. Un enjeu théâtral, et politique, car si le ciment du mensonge pervertit la cellule familiale, on sait à quel point il peut aussi abîmer la société tout entière, engendrant passivité et hypocrisie.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Festen
du vendredi 24 novembre 2017 au jeudi 21 décembre 2017
Odéon-Théâtre de l’Europe - Ateliers Berthier
1 Rue André Suares, 75017 Paris, France

Du 24 novembre au 21 décembre, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h. Durée : 1h50. Rens 0144854040. Spectacle vu à Bonlieu, Scène nationale d’Annecy. Tournée jusqu’en juin 2018. Le Quai, CDN Angers Pays de la Loire (49), MC2: Grenoble (38), Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France (59), Théâtre National de Bretagne, Rennes (35), Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines, Scène nationale (78), Le Liberté, Scène nationale de Toulon (83), Comédie de Valence, CDN Drôme-Ardèche en partenariat avec Lux, Scène nationale de Valence (26), Le Parvis Scène nationale de Tarbes-Pyrénées (65), Théâtre de Cornouaille, Scène nationale de Quimper (29), Comédie de Reims - CDN (51), Équinoxe, Scène nationale de Châteauroux (36),
TAP, Scène nationale de Poitiers (86),
Les Célestins, Théâtre de Lyon (69),
Printemps des Comédiens, Montpellier (34).

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