La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

« Frangines – on ne parlera pas de la guerre d’Algérie » de Fanny Mentré, interprété et mis en scène par Fatima Soualhia Manet , un voyage introspectif qui trace un beau chemin de liberté

« Frangines – on ne parlera pas de la guerre d’Algérie » de Fanny Mentré, interprété et mis en scène par Fatima Soualhia Manet , un voyage introspectif qui trace un beau chemin de liberté - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de Belleville
Théâtre de Belleville / Texte de Fanny Mentré / mise en scène Fatima Soualhia Manet © Danica Bijeljac

Théâtre de Belleville / Texte de Fanny Mentré / mise en scène Fatima Soualhia Manet

Publié le 23 septembre 2025 - N° 336

Écrite par Fanny Mentré, interprétée et mise en scène par Fatima Soualhia Manet, deux amies de plus de 35 ans, la partition déploie un voyage autobiographique. Un seule en scène introspectif où s’entrelacent avec acuité l’intime et l’Histoire, frayant un chemin de liberté aussi beau qu’un arbre qui s’élance vers le ciel. 

Nous sommes tous des frangines ! Quand le jeu du théâtre se fait dialogue en partage avec l’autre qui écoute et regarde, quand le « moi je » fait place à une « schizophrénie joyeuse » qui envoie bouler les malédictions. Plutôt déviantes que sacrificielles, plutôt Médée qu’Iphigénie, les deux frangines qui habitent le plateau explosent de vie. Elles s’approprient le passé pour s’en libérer et se défaire de toute reproduction, elles transforment la violence pour tracer un salutaire chemin de liberté. Comme la comédienne et metteuse en scène Fatima Soualhia Manet et l’autrice Fanny Mentré, qui a écrit le texte à la demande de son amie, elles se sont rencontrées à un cours de théâtre. Voyage autobiographique autant que geste émancipateur, la pièce est née d’une anomalie, d’un silence : jamais les frangines n’ont parlé de leur enfance, de leur histoire familiale. L’une est algérienne, née à Nancy d’une mère victime d’un mariage arrangé à un vieil Algérien. L’autre est française, née en pleine guerre en janvier 1940 d’une mère qui épousa un jeune homme envoyé en Algérie pour « sa pacification ». Sobrement et efficacement mis en scène, le flux de la parole suit un cours captivant, émouvant, qui ne laisse pas enfermer dans des clichés ou des facilités, qui révèle par touches précises les héritages pour mieux prendre le dessus.

Sororité et liberté

Le geste artistique est tout à la fois puissamment théâtral et puissamment ancré dans le réel. Bien sûr qu’on parle aussi, par bribes, de la Guerre d’Algérie dans ce seule en scène, mais aussi de la France des années 1960, des femmes de ménage – des « déesses salvatrices » –, de la télévision où Sheila en short à paillettes et Cloclo qui pleure tranchent avec les normes familiales… « Nous, on est des enfants des trous, des réécritures et des omissions. On est des enfants de littérature. » L’écriture comme le jeu explosent de vie, ils sont nourris d’expériences, d’un regard sur soi et le monde qui face à la violence des héritages, face aux blessures infligées dans une totale impunité par les hommes, choisit de cultiver l’élan joyeux de la liberté – malgré les envies de vengeance. Fatima Soualhia Manet est une très belle et bouleversante interprète, d’une force bien ajustée. Dans un monde aussi polarisé que le nôtre, où prospère le poison viral de l’invective et l’ignorance, cette amitié des frangines où la haine n’a pas sa place fait du bien.

Agnès Santi

A propos de l'événement

Frangines – on ne parlera pas de la guerre d’Algérie
du mercredi 3 septembre 2025 au dimanche 30 novembre 2025
Théâtre de Belleville
16, Passage Piver, 75011 Paris

du mercredi au samedi à 19h15, dimanche à 15h. Tél :  01 48 06 72 34. Durée : 1h15

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