La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Entretien Oriza Hirata

Entretien Oriza Hirata - Critique sortie Théâtre
Crédit Photo : S. Seki

Publié le 10 octobre 2008

Les « mondes anormaux » d’une modernité japonaise

Souhaitant créer une version moderne et théâtrale du film de Yasujiro Ozu, Voyage à Tokyo, Oriza Hirata a écrit Tokyo Notes, en 1994. Une réflexion sur le langage et les troubles relationnels que l’auteur et metteur en scène japonais présente au Théâtre de Gennevilliers, dans le cadre du Festival d’automne.

Quel est le projet littéraire et théâtral qui a sous-tendu l’écriture de Tokyo Notes ?
Oriza Hirata : Tokyo Notes fait partie de ce que l’on appelle au Japon le « théâtre contemporain de style parlé ». Il s’agit d’un mouvement né à la fin des années 1980 qui a voulu s’opposer au langage utilisé dans le théâtre japonais moderne, langage qui s’éloignait trop de celui qu’on utilise dans la vie courante. Ce langage fabriqué s’était depuis longtemps développé sous l’influence du théâtre occidental. J’ai donc étudié les caractéristiques de la langue orale afin de pouvoir reproduire ce style parlé dans mon écriture. Il me semble que ce style concerne non seulement la grammaire, la linguistique, mais également la structure de pensée des Japonais. Je voudrais préciser que, même s’il s’agit d’une langue quotidienne, il est très difficile de composer une pièce à partir de ce matériau-là. Je dois donc procéder à une phase de rédaction, puis de déformation. Je considère qu’une « réaction en chaîne » de répliques doit toujours être réaliste, l’idéal étant de parvenir à décrire un monde anormal à partir de cette réaction en chaîne. Je pense souvent aux objets improbables d’Escher, qui sont réalistes lorsqu’on en regarde les détails, mais dont la totalité appartient au monde de l’impossible. Je voudrais que mes pièces ressemblent à ces objets. D’autre part, on dit fréquemment que mon théâtre s’apparente au haïku. C’est sans doute parce que les Japonais, pour atteindre une conclusion, plutôt que de construire des conversations rigoureusement logiques, ont tendance à lancer simultanément plusieurs sujets qui composent une atmosphère. Ceci explique la structure de mes pièces. Je suis surpris que mon théâtre – grâce à Rose-Marie Makino-Fayolle, une traductrice formidable – soit aussi bien accueilli en France. Je crois que si l’on cherche dans l’art la particularité de chaque peuple, ou de chaque langue, on finit par atteindre une forme d’universalité.
 
Les notions d’intrigue, de personnage, de théâtralité ne semblent pas occuper une place primordiale au sein de vos pièces. Quel espace théâtral cherchez-vous à explorer à travers votre écriture ?
O. H. : D’abord, je suis à la recherche d’un espace dans lequel les conversations se font facilement. J’appelle cela « un espace semi-public ».
 
« Mon théâtre porte à la scène des personnages qui prennent moins d’initiatives que ceux du théâtre occidental. »
 
Car, si un espace n’est que privé, on ne parle que de famille et de proximité : cela n’intéresse pas le spectateur. Le même problème se pose si l’on se contente de construire un espace public. J’élabore donc des situations théâtrales qui relient ces deux points opposés : le cœur d’une sphère privée et le monde extérieur qui l’entoure. Ensuite, je détermine les personnages et leurs fonctions. Je parle de « fonctions » car je crée des personnages qui connaissent un sujet de conversation et d’autres qui ne le connaissent pas. Pour moi, écrire une pièce, c’est comme composer une symphonie. Il y a des thèmes qui se croisent, qui se développent, pour finalement parvenir à constituer une structure entière.
 
Qui sont les êtres qui prennent la parole dans vos œuvres ?
O. H. : Je pense que l’une des particularités de mon théâtre est de porter à la scène des personnages qui prennent moins d’initiatives que ceux du théâtre occidental. Dans l’existence, on peut considérer que les êtres humains parlent de façon personnelle et raisonnée, mais il est également possible d’envisager que chacun d’entre nous soit plus ou moins conditionné par l’espace et le milieu dans lesquels il vit. J’ai l’impression que les grands personnages du théâtre occidental croient que leur langage est directement et nécessairement connecté à la raison. A travers l’écriture et la mise en scène, je souhaite interroger les différentes sources du langage, découvrir jusqu’où les êtres humains prennent la parole de manière réellement intentionnelle et à partir de quel moment c’est la situation, ou l’environnement, qui les fait parler.
 
Quel rapport au public votre théâtre se propose-t-il d’interroger ?
O. H. : Je souhaite créer un théâtre qui s’appuie fortement sur l’imagination du spectateur, qui tente sans arrêt de la stimuler. J’aimerais que certaines phrases de mes textes puissent faire pleurer la moitié du public et rire l’autre moitié. Car, je pense qu’un bon texte doit refléter l’état d’esprit de chaque spectateur. Je ne cherche d’ailleurs pas spécialement à faire naître le comique. Mais, l’humour et l’ironie étant pour moi très importants dans la vie, j’essaie d’introduire ces éléments dans mes pièces pour traiter des sujets graves et sérieux.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat


Tokyo Notes, texte et mise en scène d’Oriza Hirata (spectacle en japonais, surtitré en français), traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle (pièce publiée par Les Solitaires Intempestifs). Du 10 au 19 octobre 2008. Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche 12 octobre à 16h00 et 19h00, le dimanche 19 octobre à 16h00. Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Théâtre de Gennevilliers, 41, avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers. Réservations au 01 41 32 26 26.

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