La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Entretien Didier Bezace
Interroger les figures symboliques de la mère

Sylvain Maurice propose un Richard III d’une intelligence scénique et dramaturgique formidablement aboutie. Avec des comédiens remarquables de talent et de justesse. A voir !

Publié le 10 avril 2007

Fidèle à son projet artistique et citoyen de directeur d’un CDN installé en
banlieue, le Théâtre de la Commune à Aubervilliers, Didier Bezace construit
aujourd’hui sa saison autour d’un cycle de spectacles sur les mères, sujet
inépuisable qui conduira les spectateurs à s’interroger d’?uvre en ?uvre sur
cette figure mythique et familière. C’est aussi l’occasion pour le metteur en
scène d’inventer une nouvelle création, May, adaptée d’un scénario du
romancier anglais Hanif Kureishi, The Mother.

 

La Terrasse : Le Théâtre de la Commune met en lumière un cycle sur les mères.

Didier Bezace ? A mes yeux, l’ambition primordiale d’un théâtre populaire,
surtout lorsqu’il est implanté en banlieue, c’est d’inciter le public le plus
nombreux au plaisir exigeant d’interroger la vie, ses contradictions, ses joies
et ses souffrances grâce à l’art du théâtre. Parlant des mères, le théâtre nous
parle le plus intimement de nous-mêmes, garçons et filles, mais aussi des
femmes, de leur histoire, de leurs luttes, de leur force et de leur fragilité.
Le spectacle que j’ai créé au début de la saison 2006/07 avec Ariane Ascaride,
Maman Bohème et Médée de Dario Fo et Franca Rame, mettait en scène
une mère joyeuse et combattante dont la révolte s’inscrivait dans les luttes
féministes italiennes des années 70/80 les plus radicales. Le public riait
beaucoup en retrouvant sur scène le plaisir de l’insolence et le goût d’un
combat toujours actuel.

La Terrasse ? Les grandes ?uvres dramatiques du répertoire et beaucoup
d’?uvres contemporaines s’articulent plutôt autour de la figure du père.

Didier Bezace ? C’est en discutant avec les artistes engagés dans le projet
de la saison que nous avons décidé de contourner la figure du père, omniprésente
dans le théâtre et la littérature, et de laisser apparaître celle de la mère
souvent cachée derrière cet emblème parfois envahissant. Lorsque Anne Théron m’a
proposé de travailler sur l’Antigone de Sophocle, elle m’a immédiatement
parlé de Jocaste, en notant qu’Antigone n?avait pas choisi de s’aveugler comme
son père ?dipe pour renier le monde qui l’entoure, mais de se pendre comme sa
mère, rejouant ainsi sa vraie filiation jusque dans la mort. Ce lien si intime,
précieux et effrayant à la fois, prend une dimension politique lorsque les
bouleversements de l’Histoire envahissent la sphère familiale. La Mère de
Bertolt Brecht, mise en scène par Jean-Louis Benoit avec les jeunes acteurs de
la Manufacture de Lausanne, mettait en ?uvre un double mouvement d’apprentissage
de cette relation : c’est de son fils que Pélagie Vlassova apprend le métier de
révolutionnaire et c’est en incarnant, chacune à leur tour durant le spectacle,
le personnage de cette militante exemplaire que les dix jeunes comédiennes se
sont initiées à l’histoire de la révolution russe, en jouant ce rôle
collectivement. Parfois la transmission s’arrête parce qu’elle se heurte aux
déchirements de la vie sociale ; la mère et le fils se figent dans des rôles qui
les éloignent l’un de l’autre, le mensonge s’installe entre eux et donne à leur
relation, malgré l’amour qu’ils se portent, un air d’absurde gâchis. C’est ce
qui se produit dans la très belle pièce de Michel Vinaver, Dissident, il va
sans dire
que Laurent Hatat vient de mettre en scène dans la petite salle de
la Commune.

« May est une histoire « scandaleuse » de
résistance individuelle et de redécouverte de soi-même. »


La Terrasse ? Le scénario de Kureishi raconte aussi notre monde contemporain.

Didier Bezace ? C’est sans doute, de toutes les histoires de mère que nous
aurons racontées durant la saison, la plus moderne au sens où elle dépeint
cruellement le monde dans lequel nous vivons actuellement. May est une femme
contemporaine, épouse, mère et grand-mère ordinaire ; elle vit dans un monde
divisé où chaque membre de la famille est d’abord à la recherche de son salut
personnel. Il n?y a plus de perspective d’un bonheur collectif ; May est, à
l’inverse de Maman Bohème, une dissidente solitaire.

La Terrasse ? Hanif Kureishi parle de l’Angleterre libérale d’aujourd’hui.

Didier Bezace ? Oui ; ce pourrait être la France de demain. Les gens y sont
mal dans leur peau, obsédés par la réussite personnelle, les soucis économiques,
existentiels, affectifs. L’insatisfaction les ronge et les empêche de porter un
regard au-delà d’eux-mêmes.

La Terrasse ? Le veuvage brutal de May place cette mère devant un vide.

Didier Bezace ? Elle connaît une période de vacance et de flottement tandis
qu’invitée chez ses enfants, elle découvre les fissures du microcosme familial.
Elle comprend du même coup que si elle accepte son statut de veuve, il ne lui
reste plus qu’à s’asseoir devant une fenêtre et attendre la mort. Elle n?obéit
pas à une stratégie de révolte consciente et calculée, elle dépend de son
instinct de survie, un geste très contemporain. Kureishi est l’auteur de romans
célèbres comme Intimité, Le Bouddha de banlieue, Le Don de
Gabriel
. J’ai adapté le scénario pour le théâtre, entreprise plus difficile
que l’adaptation d’un matériau littéraire, davantage riche de germes de
développement. A partir d’un scénario, il faut d’emblée trouver un point de vue
qui permette au théâtre d’imposer son vocabulaire et sa dramaturgie. May
est une histoire scandaleuse de résistance individuelle et de redécouverte de
soi-même. L’écriture de Kureishi naît d’un regard sur les choses de la vie. A
l’intérieur de ce rapport vivant entre la fiction, la création artistique et la
vie des gens, la représentation de ces mères symboliques réfléchit notre rapport
au monde.

Propos recueillis par Véronique Hotte.

May

D’après The Mother, scénario original d’Hanif Kureishi, traduction
Dyssia Loubatière, adaptation et mise en scène de Didier Bezace, du 20 avril au
3 juin 2007, du mardi au samedi à 21h, sauf les 8 mai et 17 mai à 16h30,
dimanche à 16h30, relâche le lundi sauf le 23 avril, relâches exceptionnelles
les 22, 29 avril et le 1er mai au Théâtre de la Commune, 2 rue Edouard
Poisson 93300 Aubervilliers Tél : 01 48 33 16 16.

A propos de l'événement


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